Mon jeudi noir

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 134 commentaires

Je vous dois un aveu. Nous avons commis hier une faute professionnelle. Notre visio-conférence du matin allait commencer, on s'apprêtait à discuter reconfinement avec l'allégresse que vous devinez, quand le nouvel attentat de Nice nous a sauté à la gorge. Un mort ? Deux morts ? Décapités ? Pas décapités ? "Seulement" égorgés ? D'un commun accord, nous avons décidé de ne pas passer notre journée suspendus aux chaînes d'info. De travailler sur des sujets de la veille, ou du mois dernier (par exemple sur les abus de la comparaison sanitaire avec l'Allemagne). D'échapper aux griffes d'une journée noire. Nous ne le savions pas encore, mais outre les détails darmaninesques des attestations et des dérogations, nous avons échappé à Avignon. A Lyon. A Djeddah. A la fatwa d'un ancien premier ministre de Malaisie. Pas envie de savoir ce qu'en pensent Rizet, et Brunet, et Neumann, et Messiha, et Ferrari, et Le Pen, et Valls, et Praud, et Lévy, et les autres. Désertion, votre Honneur.

Je vous dois un aveu, j'ai détourné ce jeudi noir en journée résolument non essentielle. Solidarité active avec ma librairie de BD, avant qu'elle replonge dans l'aventure du Click and collect ; so long à ma salle de cinéma de quartier, vaillante survivante du premier confinement. Et le pire : je n'en ai même pas mauvaise conscience. Lâcher prise, échapper à l'emprise, est-ce une fuite ? Une désertion ? Madame l'Actualité, je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être si vous avez le temps... 

Pas coupable, votre Honneur. Parce que finalement, qu'est-ce qui nous distingue du destin de viande à virus, d'esclaves et de reclus, d'égorgés potentiels, ou encore de spectateurs impuissants des "messages" qui seront passés aux suspects habituels, sinon le droit imprescriptible au non essentiel ? "Vous pouvez l'éteindre !"s'exclame Julia, incrédule, découvrant le privilège de Winston Smith. Oui, on peut l'éteindre. On peut se ménager des interstices, des moments, des recoins, des anfractuosités, elle nous rattrapera toujours, l'Actu aux mille tentacules. Confinées, confinés, j'ai envie de vous écrire des choses non essentielles. Tiens, nous mettrons en ligne dimanche un PostPop(haut les cœurs, c'est la rentrée de PostPop) qui n'a rien à voir, rien, ou si peu, avec l'Actu. Et avant cela, Emmanuelle Walter met ce matin la dernière main à notre émission de ce soir qui, pas d'inquiétude, reviendra à l'essentiel, avec des invités de traverse.

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