Mélenchon, pépère, les salopards, et Chypre
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 191 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
L'AFP avait mal entendu. La retranscription de Mediapart était la bonne.
Mélenchon n'a pas accusé Moscovici de ne pas "penser français", mais de ne "plus penser en français". L'enregistrement fait foi :
Jean Quatremer, qui avait mené l'assaut tout le week-end, s'est excusé sur Twitter. Il n'est pas certain que même la version fausse de l'AFP justifiait l'énervement du week-end mais ne faisons pas les difficiles, l'incident est clos.
Il reste que, si une poignée de journalistes, et le PS, ont démarré si vite sur l'accusation d'antisémitisme, c'est parce que Mélenchon, dans les dernières semaines, a, comme on dit "radicalisé son discours". De quelle manière ? En s'en prenant personnellement aux dirigeants socialistes, et au premier rang à Hollande. "Dans les années 30", comme on dit (bis), c'était l'extrême-droite qui accusait nommément. Qui accusait les personnes, comme Blum, soupçonné de manger dans la "vaisselle d'or". L'extrême-gauche, elle, tentait de produire une analyse, en mettant en cause, derrière ses agents, le système. Jusqu'à peu, quand Mélenchon lui-même pointait les personnes, c'était globalement, à l'abri d'une confortable généralisation ("qu'ils s'en aillent tous").
A plusieurs reprises, ces derniers temps, Mélenchon, dans son expression publique, a franchi un cap. Avec l'amnistie sociale ("on va lui tordre le bras en espérant que ça lui fasse assez mal", a-t-il lancé à propos de Hollande). Puis lors des obsèques de Chavez: "Doit-on se préparer à commenter la tête qu’aura "pépère" dans son cercueil le moment venu ? Devra-t-on alors commenter l’état de ses cheveux implantés et celui de ses rondeurs ?" s'est-il interrogé, en réponse au ministre Victorin Lurel, qui avait risqué quelques plaisanteries inoffensives sur la dépouille de Chavez. Quel est le sens de cette phrase ? Que si "pépère" (Hollande encore, NDR) n'avait pas de cheveux implantés, et moins de rondeurs, sa politique, sa réforme bancaire, son amnistie sociale restreinte, son soutien au plan européen initial à Chypre, seraient plus acceptables ? Et maintenant en soutenant son lieutenant qui, à la tribune du congrès du Parti de gauche ce week-end, et à l'abri de toutes sortes de références cinématographiques indiscutables, a néanmoins traité Moscovici de "salopard", pour son soutien au même premier plan européen sur Chypre ? Quel est le sens de cette insulte ?
Ces insultes ne sont pas seulement désagréables (les insultés en ont vu d'autres). Elles sont, avant tout, une insulte aux sympathisants et aux électeurs de Mélenchon, et à tous ceux qui attendent beaucoup de lui, et notamment une pensée "hors de la boîte" sur des questions compliquées, qui n'appellent pas de réponses toutes faites. Mélenchon joue exactement le jeu des guetteurs de "dérapages", des Quatremer et des Aphatie, qui n'attendent que l'occasion de lui coller au front l'étiquette du symétrique de gauche de Marine Le Pen, du dérapant récidiviste inaudible par essence. Sur Chypre, par exemple, et sur ces banques où se trouvent à la fois l'argent des petits déposants, et les fortunes des oligarques russes, que faire ? Quelle politique mener, autre que celle de l'eurogroupe ? Plus difficile de répondre à la question, que de moquer Moscovici.