Manu à Saint-Martin : Narcisse aux commandes

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 52 commentaires

On part toujours du principe qu'ils font de la com', qu'ils veulent montrer quelque chose, que leurs messages sont calibrés. Mais devant le déluge tropical de photos d'Emmanuel Macron à Saint-Martin, qui s'est abattu dimanche soir sur la métropole, il faut bien avouer qu'on ne comprend plus grand chose.

Que voit-on ? Le corps blanc, habillé, d'un surpuissant familier, enkysté entre deux jeunes corps noirs musclés et luisants. Sur une de ces photos, immédiatement propagée avec indignation par Marine Le Pen,  l'un des deux jeunes fait un doigt d'honneur, tandis que l'autre effectue un signe des cornes indéchiffrable. De son poing gauche, le président lui-même, plus petit que ses deux compagnons de pose, et seul souriant, semble entrainé dans une enthousiaste compétition gestuelle.

Une autre photo (avant ? après ?) montre un enlacement avec le jeune au doigt d'honneur, tandis que l'autre a enlevé (ou pas encore enfilé) son marcel, révélant lui aussi biceps et pectoraux appréciables.

Revenons sur les circonstances de la scène, racontées par un journaliste du Figaro. A la faveur d'une averse tropicale, Macron a couru se réfugier dans un bâtiment HLM, échappant au programme, au protocole, et à une partie de son escorte sécuritaire (mais pas à la presse, on compte dans cet espace confiné au moins trois caméras).  Autrement dit, vraisemblablement improvisée au début, la scène s'est poursuivie en pleine (in ?) conscience des images produites.

Mais ces instants fusionnels ont eu, dans le même espace-temps, un contrepoint : dans une séquence distincte, Macron fait la leçon à l'un des deux jeunes, celui du signe des cornes (sans marcel), qui lui a avoué à son arrivée dans l'appartement avoir été condamné pour braquage. "Fini les braquages, ta mère mérite mieux que ça" a intimé le président, en conseillant au jeune braqueur, façon "traverser la rue", de participer à la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma. Tandis que la main gauche reste tactile, l'index droit montre à la jeune racaille le droit chemin.

Version vidéo :


Autrement dit, ces images ne peuvent être qu'écartelées entre deux interprétations extrêmes. Le dominant blanc qui vient s'encanailler, aux limites de la soumission, avec de jeunes corps noirs vigoureux -et cette interprétation est d'autant plus puissante que ce déluge survient dans le contexte immédiat de la révélation d'une abondante iconographie pornographique coloniale- est le même qui vient remettre une jeunesse prolétaire dans le droit chemin.

En bref, domination et soumission volètent dans cette séquence comme un essaim de bourdons en folie, sans savoir dans quel ordre se poser. Bénéfice escompté pour Macron : aucun. Il va se faire haïr des lepénistes, tout en ne gagnant rien du côté de la gauche décoloniale, qui jugera toujours ces scènes néo-coloniales, dès lors que sont mis en présence des corps blancs et noirs. Que veut nous dire Manu ? Vraisemblablement, il ne le sait pas lui-même. Il est possible qu'il ne veuille pas montrer grand chose . Il est possible qu'il ait simplement ouvert les vannes. Il est possible qu'il ait conclu à la vanité du surcontrôle : jusqu'ici rien n'a réussi, autant laisser Narcisse s'emparer des commandes, appuyer sur le champignon, et advienne que pourra.

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