Malte, une enquête d'outre-tombe

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 14 commentaires

Les passeports, ou le bordel ? Pourquoi Daphne Caruana Galizia, blogueuse-journaliste d'investigation à Malte, a-t-elle été assassinée, à l'automne dernier ? Parce qu'elle enquêtait sur le marché des passeports de complaisance, organisé dans son pays, et qui permet à des milliardaires russes ou chinois de s'octroyer à prix d'or la nationalité d'un pays européen ? Ou bien parce qu'elle avait révélé en temps réel, sur son blog, que le ministre des finances de son pays, Chris Cardona, se trouvait dans un bordel allemand à l'occasion d'un voyage officiel ? Le consortium de 45 journalistes d'investigation de 18 pays européens (en France, Le Monde, Radio France, et France 2) du "projet Daphne" semblait plutôt parti sur la première piste, quand a surgi la seconde.

Au total, à la fin de l'enquête d'Envoyé Spécial, on ne savait toujours pas qui a commandité l'assassinat -s'il a bien été commandité. Sur la piste des passeports, les enquêteurs de l'émission se sont rendus jusqu'à Dubai, où se tient une sorte de salon des passeports de complaisance. Ils ont sonné en vain à la porte des appartement miteux (et vides) où sont censés résider les "citoyens" maltais. Sur la piste du bordel, ils ont poussé leurs investigations, en caméra cachée, dans une louche gargote du Sud de Malte, où le ministre des finances Cardona aurait été vu en compagnie des malfrats inculpés dans le cadre de l'assassinat.

Les passeports ou le bordel ? La piste des passeports mouille dans l'assassinat le directeur de cabinet du Premier ministre, Joseph Muscat. Celle du bordel son ministre des finances. A moins que la blogueuse n'ait froissé une susceptibilité mal placée : entre deux investigations, elle n'hésitait pas, sur son blog, à moquer ses adversaires politiques sur...leur poids. Et ils le lui rendaient sur le même ton.

Dans tous les cas, c'est bien une journaliste d'investigation, qui est morte dans l'explosion télécommandée de sa voiture, dans un pays de l'Union Européenne. Dans tous les cas, c'est une initiative formidable, que ce réseau international des "Forbidden stories" qui, épousant le modèle des consortiums journalistiques internationaux sur l'évasion fiscale, a décidé de prolonger, avec des moyens décuplés, les enquêtes des journalistes empêchés ou assassinés. Et elle serait encore plus formidable, cette dissuasion d'outre-tombe (toute l'Europe, cette semaine, a entendu parler des trafics et des bas-fonds de Malte), si toutefois la Justice, et éventuellement les institutions européennes, prenaient le relais des investigations médiatiques. Dans l'assassinat de Malte, aucun officiel maltais n'a à ce jour été mis en cause par la Justice.



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