Macron, l'imprévisible, et les gares
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 215 commentaires
Écoutons Emmanuel Macron. Il fait campagne en Bretagne, chez son ami Richard Ferrand.
« Le monde a changé. Il n'est pas le même qu'il y a cinq ans. Malgré les crises, j'ai tenu les engagements que j'avais pris il y a cinq ans. » pic.twitter.com/DTRT5f57XU
— En Marche #avecvous (@enmarchefr) April 5, 2022
Il y a les projets, concède Macron, mais il y a aussi "notre rapport à l'Histoire, à l'imprévisible, aux événements. Les événements sont de retour"
. Il cite le Covid, et la guerre d'Ukraine. Notons qu'il ne cite pas la troisième "crise" de son quinquennat, les Gilets jaunes, pour laquelle il est sans doute moins fiérot de son bilan. Passons.
Je l'avoue d'emblée, je suis d'accord avec cette analyse : dans le choix d'un président de la 5e République, le "rapport à l'imprévisible"
est pour moi désormais un critère essentiel. Une longue succession de mandats présidentiels m'ont appris à ne plus croire ni promesses ni programmes. Ce n'est pas le magnifique programme de l'Union populaire qui m'incitera à voter Mélenchon. Devant le programme d'un président fraîchement élu se dressent aussitôt de nombreux obstacles (et c'est aussi vrai pour les pouvoirs de droite que pour les pouvoirs de "gauche"). Une majorité réticente, incertaine, divisée. Une opposition pugnace. Des résistances sociales et économiques qui, dans le cas d'une présidence Mélenchon, faisons leur confiance, sauraient se faire entendre dans les médias des milliardaires. Je voterai pour l'homme, ce que je perçois de son caractère, de son charisme, de son cocktail fermeté / adaptation, de son logiciel profond, de l'ADN de son mouvement politique, à travers les figures qui le composent.
Et Macron ? Pour prendre ses propres exemples, comment Macron a-t-il géré l'imprévisible Covid ? (À supposer qu'une pandémie mondiale ait vraiment été un événement "imprévisible"
, c'est une autre question.) Essentiellement avec le "quoi qu'il en coûte", sidérant et salutaire acte de rupture radicale avec son logiciel néolibéral. Mais ce quoi qu'il en coûte
lui-même visait à éviter l'effondrement de l'hôpital. Or, qui a placé l'hôpital au bord de l'effondrement, sinon les plans mirifiques co-signés McKinsey et consorts, qui ont abouti à la suppression de 17 000 lits pendant son quinquennat ? En d'autres mots, il a su éviter en catastrophe les effets catastrophiques de son aveuglement idéologique.
Et comment Macron a-t-il géré l'imprévisible guerre ? (À supposer qu'une invasion russe de l'Ukraine, etc). En s'obstinant à discuter avec un "président Poutine"
, comme on l'a longtemps appelé, avec qui il n'y avait rien à discuter. Et aujourd'hui encore, après les découvertes des atrocités de Boutcha, et en attendant les prochaines, en s'accrochant à la politique de "sanctions graduées", sans avoir manifestement renoncé à "ramener Poutine à la raison". Ç'aurait pu être une stratégie efficace. Chaque jour qui passe démontre le contraire.
Enfin, comment Macron gère-t-il la très prévisible, pour le coup, catastrophe climatique ? Où est son acte de rupture ? Où est la mise du pays en ordre de bataille ? Où est le quoi qu'il en coûte
des énergies renouvelables ? Où est la mise sur pied d'une industrie française des panneaux solaires ? Où est la mobilisation psychologique sur la nécessaire sobriété ? Pourquoi (c'est un détail, mais tellement cruel) laisse-t-on EDF demander gentiment aux Français d'économiser l'électricité un matin de pic présumé, en maintenant l'éclairage de nuit des bureaux, et les panneaux publicitaires électriques dans les gares ? Si la capacité à gérer l'imprévisible, oui, est un critère de choix, est-ce vraiment à son avantage ?