L'homme qui marche dans les rues, analyse d'un bombardement

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Le matinaute - 95 commentaires

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Eloignez les enfants.

Les images qui vont suivre sont dures. Elles ont commencé à nous assaillir depuis quelques jours, et depuis quelques heures c'est le déluge. Je pense cependant que nous devons vous les montrer.

Il y a d'abord celle-ci, bien sûr,

pictopoignée de mains cordiale, d'après interview, postée sur le compte twitter de l'intéressé.

(oui, je mets le lien. Vous êtes adultes. Vous savez ce que vous avez à faire. Vous devez être capables de regarder ça en face).


Mais ce n'est rien. On y est habitués.

Je dirais même qu'on l'attendait, depuis qu'on avait vu celle-ci,

Pujadas sortant du QG de Sarkozy à la veille de l'interview, capture de rushes vidéo, postée sur le compte Twitter de Benjamin Oulahcene, journaliste à BFM TVpicto

Mais ce n'est encore rien. Il y a bien pire.

Encore pires, en effet, sont les images d'un homme qui marche dans la rue sans gardes du corps, et serre la main à tout le monde. Attention, prêts ? C'est parti.

Ces quatre photos sont diffusées par les comptes Twitter et Facebook du marcheur sans gardes du corps.

Ces deux photos sont parvenues au matinaute par des bombardeurs facebookiens fonctionnellement indépendants du candidat du peuple. Celle de gauche est prise à France Télévisions.

Ce ne sont donc pas les vieux médias qui nous infligent ce que vous venez de voir, mais les réseaux sociaux. C'est par twitter, par facebook que j'ai subi ce matin au réveil l'intensif bombardement. Et toujours avec d'excellentes intentions: les bombardeurs souhaitent dénoncer la nocivité des images, leur ironie dissimule mal leur colère ou leur fascination, mais n'empêche: ils bombardent.

Soyons clairs: personne n'avait vu venir cette offensive-là.

Les promesses, il les a toutes faites. Les coups (référendum, prime machin chose compensée par la suppression de la prime chose truc, interdiction des parachutes et des chapeaux, désignation de boucs émissaires tout en haut et tout en bas), il les a tous tentés. Autrement dit, côté parole, pour lui, c'est sans issue. Président des riches, des yachts, des milliardaires, des oligarques, des légions d'honneur aux copains, du premier cercle : cette image, imprimée dans la tête des gens, aucun mot ne l'effacera.

Côté chiffres, tout aussi peu d'issue. Tout va mal. Déficit, dette, chômage, salaires, toutes les statistiques sont mauvaises, et même côté sécurité, ce n'est pas terrible. Exit les chiffres.

On pensait qu'il ne lui restait rien.

Erreur.

Il lui restait l'image.

Il lui restait cette tentative désespérée: faire oublier le Fouquet's par la cantine d'Alstom.

Ce bombardement-là, je ne l'avais pas vu venir. Et (même si le mode de diffusion des photos est directement importé des Etats-Unis) c'est bien joué. Au vu du jeu qu'il a en main, c'est même de la virtuosité

Evidemment, les journalistes de télé l'aident. Lorsque, devant illustrer dans un sujet le concept "Sarkozy", ils choisissent machinalement, sans y penser, un plan de Sarkozy-marchant-tout-seul-dans-la-rue-en-ayant-fait-sortir-ses-gardes-du-corps-du-champ, ils font son jeu. Chaque photo, chaque plan de caméra, montrant Sarkozy sans son dispositif de sécurité, est une image de propagande qu'il faut dénoncer.

Mais le pire, c'est qu'il pourrait s'en passer. Il n'a pas besoin des journalistes de télé. Facebook, twitter, il s'en est emparé d'un coup d'un seul. A sa manière. Différente de celle d'un Mélenchon ou d'une Le Pen, mais aussi intensive. Et les bombardeurs font le reste (tiens, à propos, vous aurez remarqué que je n'ai pas cité Hollande. Où est donc Hollande, dans le bombardement ? Poser la question, c'est y répondre. Nulle part. Effacé, Hollande, de la bataille des images, par le bombardement).

On peut ricaner. On peut se dire "ça ne marchera pas". On peut, comme Hollande, persifler que ceux qui ne doivent pas faire oublier quels restaurants ils ont fréquenté pendant cinq ans, n'ont pas besoin d'aller se faire pardonner à la cantine.

Bref, on peut miser sur l'intelligence et la mémoire, comme...

... comme...

Allez, je le dis: comme Jospin en 2002.

C'est dit. Ce bombardement rappelle à l'ancien combattant que je suis la campagne de 2002. Vers la même époque, ou un peu plus tôt, la télé s'était mise à nous bombarder d'images terrifiantes de "l'insécurité", jusqu'à convaincre la France entière qu'elle était à feu et à sang. Allez savoir pourquoi, le bombardement d'aujourd'hui m'évoque ce souvenir. Il y a un emballement soft, autour de "l'homme qui marche seul dans les rues, serre la main des SDF, et demande les bons plans aux restaurateurs". Cet emballement vise à nous convaincre que cette image est la réalité. Si le thème se veut moins anxiogène, et si le metteur en scène en est cette fois clairement repérable, l'opération est tout aussi angoissante, en ce qu'elle vise délibérément la fragilité psychologique des électeurs. Encore que passionnante sur l'impact des images qui est, comme chacun sait, la seule chose qui nous importe ici.

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