Les doutes de Samuel Paty

Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Le matinaute - 195 commentaires

"Non seulement notre collègue a desservi la cause de la liberté d’expression, il a donné des arguments à des islamistes et il a travaillé contre la laïcité en lui donnant l’aspect de l’intolérance, mais il a aussi commis un acte de discrimination : on ne met pas des élèves dehors, quelle que soit la manière." C'est un collègue de Samuel Paty qui parle, dans une boucle de mails initiée le 8 octobre par la principale du collège de Conflans, deux jours après le cours de Samuel Paty sur la liberté d'expression, et dont Le Monde publie ce matin des extraits. Ils sont deux collègues à le critiquer ainsi dans cette conversation, alors que la principale incite la communauté des profs à soutenir le collègue attaqué.

Cette publication a le mérite de clarifier certains détails encore obscurs de l'affaire. On avait ainsi pu comprendre que la principale avait reproché à Samuel Paty sa "maladresse". Si le mot est bien employé -par la principale, et par Paty lui-même, qui reconnaît cette "maladresse"- il n'en ressort aucune désolidarisation, au contraire. Restent les deux collègues. Ils le critiquent. Faut-il le leur reprocher ? Bien sûr que non. Quand ces arguments sont échangés, personne ne peut prévoir l'horrible issue, le 16 octobre. On est avant, dans cet avant où on aimerait aujourd'hui tant pouvoir retourner. Des mots identiques, des arguments identiques, des insultes même éventuellement, n'ont pas le même sens, la même portée, avant et après que le sang a coulé. Des arguments deviennent une trahison. Tout effort de réflexion devient lâcheté. C'est cruel ? C'est ainsi. L'événement capital fond sur nous comme une tornade, et emporte nos détails, nos scrupules, nos balancements, nos soupèsements, nos chères nuances.

"Je ne ferai plus de séquence sur ce thème. Je choisirai une autre liberté comme objet de séquence. Je travaillerai l’année prochaine sur la liberté de circulation ou, peut-être, sur la censure d’Internet en Chine", écrit encore Samuel Paty. Ironiquement ? Amèrement ? Impossible de le deviner dans le mail. Il est permis de comprendre qu'il a douté -faudrait-il vraiment dire aujourd'hui "capitulé" ? Mais allez savoir ce qu'il aurait fait l'année suivante. Comment dire que cela rend Samuel Paty plus proche encore ? Les survivants de Charlie, eux, n'ont jamais exprimé aucun doute sur aucun de leurs dessins publiés.  Ils sont sans doute nombreux, ceux qui comme moi ont eu du mal à se sentir Charlie sans réserves, et sentent au fond d'eux une voix qui leur souffle avec insistance : "Je suis Paty".

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