L'élection, cette vieille chaussette sale
Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 97 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Au-delà des clameurs et des polémiques, la réalité, exprimée en mots de tous les jours, est celle-ci
: ce président, pour lequel nous avons voté, parce que son ennemi était la finance, ce président, deux ans et demi après, vient de faire passer sans vote, devant le Parlement, le travail du dimanche. En force, notamment parce qu'il refusait des amendements prévoyant un salaire plancher pour tous les salariés travaillant le dimanche, proposition avancée par le "frondeur" Benoit Hamon (dans la loi, ce plancher n'est prévu que pour certains d'entre eux, selon des critères d'une simplicité que je vous laisse découvrir). Accepté, cet amendement aurait sans doute retourné le vote de quelques socialistes, et assuré à la loi une majorité confortable. Mais non. Refusé. Par un gouvernement socialiste.
Ne me dites pas que personne n'est obligé de travailler le dimanche. Ou alors, pour plonger dans un bain de vraie vie des vrais gens, précipitez-vous sur le Replay d'ARTE, pour regarder le documentaire de Frédéric Brunnquell, diffusé hier soir, sur les "petites classes moyennes", ces familles françaises ni riches ni vraiment misérables, avec quelque 2 500 euros de revenus mensuels, et qui accumulent les heures supplémentaires harassantes, pour boucler leurs budgets. C'est à cette France, désormais abonnée aux CDD et aux temps partiels contraints, que Macron, Valls et Hollande viennent d'ouvrir la radieuse perspective de pouvoir travailler douze dimanches par an. Sans salaire plancher.
Classes moyennes, des vies sur le fil, ARTE
Comment ne pas penser à cet épisode, en réentendant cet argument des anti Syriza, selon lequel le "respect du vote du peuple grec", incontestable bien entendu (chacun respecte le peuple grec, c'est bien connu !) se heurte à la légitimité des autres gouvernements européens. L'argument est pertinent. Tsipras n'est pas, du fait de la fraicheur de l'élection grecque, plus légitime que Merkel, ou Hollande. Un pouvoir élu depuis deux ans est aussi légitime qu'un pouvoir élu la semaine dernière. Mais quelle est la légitimité de Hollande à faire adopter sans vote le travail du dimanche ? La mesure figurait-elle dans son programme ? Avons-nous voté pour ça ? On pourra bien pleurer, ensuite, sur "les Français qui ne vont plus aux urnes". Ce qui se joue, dans l'épreuve de force entre la Grèce et les pays de l'eurozone, c'est exactement ça : le suffrage universel, progressivement réduit à l'état d'une vieille chaussette sale. Je ne suis pas certain que tout le monde le mesure bien.
Sinon, le feuilleton du coup de théâtre de l'Eurogroupe, dont je vous parlais hier, continue. Il ne continue pas dans la presse française, mais dans la presse britannique. C'est dans The Telegraph, qu'on trouve la confirmation que le commissaire européen Pierre Moscovici a bel et bien proposé une formulation plus acceptable pour les Grecs, laquelle a été rejetée par les pays de l'eurozone, "y compris la France", précise The Telegraph. Je ne sais pas si Varoufakis est aussi joueur qu'on le dit, mais il semble bien que Sapin et Moscovici jouent à la baballe avec la Grèce. On espère qu'ils s'amusent bien.