Grèce : poule mouillée ou dépêche d'Ems ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 40 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Parmi les journalistes qui traitent de la Grèce, on n'a jamais compté autant de spécialistes de la théorie des jeux.
Il fallait entendre Philippe Lefébure, ce matin sur France Inter, évoquer le "dilemme du prisonnier", et le "jeu de la "poule mouillée". Le jeu de la poule mouillée, vous en avez certainement entendu parler si vous suivez l'épopée Syriza : deux voitures se foncent dessus, et la première qui détourne sa trajectoire pour éviter la collision a perdu. Et à en croire la génération spontanée de ludo-économistes qui couvrent l'affaire, c'est donc ce qui se déroule à Bruxelles, entre la Grèce et ses partenaires. Au point que le ministre des finances Varoufakis, ces derniers jours, se sent obligé de répéter qu'il ne joue pas, et que la chose est sérieuse.
L'échec de l'eurogroupe d'hier soir repose, c'est vrai, sur un différend qui, à première vue, semble sérieux. Les Européens somment les Grecs d'accepter d'abord la poursuite du programme d'austérité actuel, après quoi on discutera de "flexibilités" possibles, exigence inacceptable selon Romaric Godin, notre invité de la semaine. Les Grecs, eux, veulent discuter d'abord des modalités de leur "programme relais", ou "programme pont", sans se lier les mains. Sur le fond, apparemment, on n'est pas loin. Pour le commissaire européen Moscovici, d'après Mediapart, les Européens sont prêts à discuter des "30% de mesures toxiques" décélées par Tsipras dans le plan d'austérité de la Troïka. Mais le différend va bien au-delà de ces 30% : c'est une pure négociation sur le cadre de la discussion. Rien de ludique là-dedans. Du juridique, du technique, du rapport de forces.
Reste une question, sur laquelle la presse du matin ne permet pas de trancher : celle de la substitution d'un texte à l'autre. Selon Varoufakis, cité notamment par Le Monde, Moscovici avait fait, avant le début de la réunion, une proposition plus acceptable pour les Grecs. Avant que le président de l'Eurogroupe, le Hollandais Dijsselbloem (sous pression de l'Allemand Schaüble ?) substitue à ce texte un autre, plus abrupt. Si j'insinue que la réécriture offensante est une vieille spécialité allemande, serai-je taxé de germanophobie ? Depuis la dépêche d'Ems, ce texte de 1870 conciliant sur le fond, mais réécrit par Bismarck de manière sciemment offensante et humiliante pour la France, on sait que les mots peuvent provoquer des guerres, même si les positions ne sont pas éloignées. Pour comprendre la partie, l'Histoire semble ici au moins aussi utile que la théorie des jeux.