Le Monde, à bord de l'Aquarius
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 14 commentairesIls sont 109 hommes, six femmes, et un enfant, qui sont montés hier à bord de l'Aquarius
, au premier jour de sa mission. Ils viennent de Guinée Conakry, du Mali, de Côte d'Ivoire, et du Sénégal. A bord de l'Aquarius, se trouve une journaliste du Monde, Marilyne Baumard.
Et soudain, ce ne sont plus des chiffres, ce n'est plus une masse en perdition sur des canots, ce ne sont plus de simples silhouettes entrevues au 20 Heures. Ce sont des corps. Souffrants. Les six femmes "ont été brûlées sur le bateau par un jerrycan d'essence renversé sur elles". Trois sont enceintes. Noura 15 ans, se demande comment elle va retrouver sa mère, qu'elle a dû laisser derrière elle en Libye. Sita, sa voisine, a traversé pour retrouver son mari. «Il est passé fin avril. Arrivé au sud de l’Italie, il a été transféré dans une ville dont j’ai oublié le nom… Qu’est-ce qui se passera pour moi si je ne le retrouve pas?» Noura n'est pas brûlée, mais elle aussi peine à marcher pour avoir été écrasée dans le canot pneumatique: «Quelqu’un est resté assis sur moi tout le temps. Je ne sens plus ma jambe droite de la cuisse au pied.» Ces paroles si précises que l'on recueille, lorsqu'on est seule journaliste à bord, avec un simple, un bon vieux carnet de notes.
Pourquoi parler ce matin de l'Aquarius, alors que tant de sujets brûlants se bousculent dans les Matinales, de l'attentat de Bagdad aux dégradations des locaux du PS, alors qu'il n'y a rien de particulier à dire des reportages embarqués sur l'Aquarius, rien à critiquer, pas grand chose à décortiquer, guère de polémique à chercher, rien d'autre à faire que de les lire, et se taire ? Pourquoi ? Parce que, ces lignes lues, tout le reste semble vain ? Ou bien par incapacité, tout simplement, de parler d'autre chose.