Le gouvernement et les migrants : oubli, ou mensonge ?

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 63 commentaires

Télécharger la video

Télécharger la version audio

Vous vous souvenez de l'évacuation du camp de Calais ?

L'administration avait alors promis aux évacués que "aucune décision de coercition" ne serait prise à l'encontre de ceux des migrants de Calais qui accepteraient leurs transferts vers les centres d'accueil et d'orientation (CAO) disséminés un peu partout sur le territoire français. Autrement dit, aucune reconduite forcée à la frontière des "dublinés", (migrants ayant laissé leurs empreintes dans le pays de leur entrée sur le territoire de l'UE). Le ministre de l'Intérieur d'alors, Bernard Cazeneuve, l'avait répété en personne.

Or Le Monde, sous la plume de la spécialiste du sujet, Maryline Baumard (sur notre plateau ici), a recueilli des témoignages qui prouvent le contraire. Au terme d'une longue enquête, Baumard a établi que de nombreux migrants, au mépris de la promesse faite, sont renvoyés vers leur pays d'arrivée en Europe. Partout ? Non. "Dans la cacophonie générale, les préfets font comme ils l'entendent", explique-t-elle, d'autant plus que, selon une confidence "d'une préfecture du Grand Est" aux associations, "une contre-directive a demandé de mettre tout le monde en procédure Dublin".

A première vue, cela pourrait s'appeler un mensonge.Le Monde aurait pu titrer sur "le mensonge du gouvernement". Mais non. Le Monde préfère titrer sur "la promesse oubliée". Et quand Baumard écrit le mot de mensonge, c'est en l'enserrant dans de prudents guillemets, et en le plaçant dans la bouche d'un jeune réfugié. "Ce que Idress appelle "le mensonge français", écrit Le Monde.

Ah, maudits trous de mémoire ! C'est que Le Monde est économe de ses accusations de mensonge. C'est d'ailleurs un des reproches adressés par l'archictecte du fameux Décodex, Samuel Laurent, sur notre plateau de cette semaine, à l'adresse de Fakir, et de son directeur François Ruffin : ce gros mot de "mensonge", sous une video de Fakir, concernant l'affaire Ecopla, et l'existence (ou non) d'une entrevue entre les salariés d'Ecopla et le cabinet d'Emmanuel Macron (explication ici). Parler de "mensonge", qualifier un élu politique, après enquête, de "malhonnête et incompétent", c'est être militant, et être menacé d'être "flagué" rouge par Décodex.

Le mensonge, nous dit Wikipedia, est "l'énoncé délibéré d'un fait contraire à la vérité". Le mot important est ici "délibéré". L'administration qui a placardé les affiches à Calais savait-elle que la promesse de non-reconduite ne serait pas tenue ? Le conseiller de Macron savait-il que le cabinet de Macron n'avait pas rencontré les salariés d'Ecopla ? Idress et Fakir ne peuvent certes pas prouver que oui. Mais Baumard et Laurent ne peuvent pas davantage prouver qu'il ne s'agit que de simples trous de mémoire. A chaque journaliste, à chaque media, donc, de faire son choix de vocabulaire. L'un des deux choix est-il plus justifié que l'autre ?

Lire sur arretsurimages.net.