Lampedusa, avis de tsunami

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 14 commentaires

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Qu'on se le dise, la France n'est pas en guerre.

Ni en Libye, ni à Abidjan. On est en intervention, en opération, en déploiement, en appui, on prête main-forte, on protège les civils, on n'a pas d'autre but que d'éviter les bains de sang, les massacres, les génocides, de protéger la femme et l'enfant, on se souvient du Rwanda, on intervient sur mission de l'ONU, d'ailleurs on a une lettre qui le prouve, signée du secrétaire général en personne, lettre qu'on n'a évidemment pas demandée nous-mêmes, qu'on n'a pas exigée, qu'on ne s'attendait pas du tout à recevoir, qui est arrivée par la Poste, on n'est pas une nation belliqueuse, on ne veut s'incruster nulle part, on partira dès que l'affaire sera terminée, le plus tôt sera le mieux (ce qui précède est un mémo de Juppé-Longuet-Guillaud tel qu'on le parle, dans les douze dernières heures).

Pas la peine, ici, de faire le malin. Le corollaire d'une guerre, c'est la résurgence immédiate des propagandes de guerre, et le retour immédiat d'une intox de tous les instants. Pas la peine de faire le malin: on ne sait rien. Ni pourquoi Gbagbo, "à deux doigts de se rendre" toute l'après-midi de mardi selon Jupplonguillaud, résistait encore mercredi matin; ni pourquoi Kadhafi a pu "pilonner" Misrata pendant sept heures, alors que l'OTAN est parfaitement satisfaite d'elle-même, que les opérations se déroulent normalement, que la moyenne des "sorties aériennes" est maintenue. On ne sait rien d'ailleurs sur Misrata en général, dont les rebelles libyens dressent des descriptions apocalyptiques, et dont Longuet, ce matin à France Inter, insistant sur les possibilités de son approvisionnement par la mer, parlait étrangement comme d'une ville s'apprêtant à l'évidence à subir un siège interminable, comme si insensiblement on préparait déjà les esprits à une guerre d'usure. Plus généralement, on ne sait rien sur les raisons profondes du changement de pied du pouvoir sarkozyste, entre le non-interventionnisme radical de janvier, et la fringale de bombardements d'avril.

Et tant qu'on y est, à confesser des motifs de perplexité matinale, confessons celui-ci: pourquoi l'assourdissant silence des radios du matin sur l'accord intervenu entre l'Italie et la Tunisie, et révélé par l'Instance supérieure de réalisation des objectifs de la révolution tunisienne, par lequel l'Italie s'engage à régulariser 22 000 immigrés tunisiens ? La mesure, dernier épisode en date de l'épreuve de force franco-italienne depuis les arrivées en masse de Tunisiens à Lampedusa, permettra aux régularisés d'entrer sur le sol français. A l'évidence, dans quelques jours, quelques heures, Marine Le Pen s'emparera de la question, et déclenchera un tsunami politique. Le Figaro, ce matin, titre sur l'Italie qui "offre la France aux Tunisiens", et en fait sa Une,

avec une photo toute en finessepicto

qui laisse entrevoir la violence de la polémique à venir. Supposons que les radios attendent la survenue effective du tsunami pour évoquer le sujet, ce qui après tout est une attitude comme une autre.

En bonus, parce qu'on ne s'en lasse pas, le Sarkozy tel qu'on le parle.

Comment on est en guerre ici...

...mais pas là

(zapping, Lucie Desvaux)

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