La vraie nature du macronisme, expliquée à Thomas Legrand

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 61 commentaires

On déplorait le fléau des fake news, ce matin, sur France Inter. Thomas Legrand déplorait les fake news. Un peu plus tard, l'invitée de Léa Salamé, la présidente de Radio France Sibylle Veil, déplorait les fake news. Encore plus tard, Nicolas Demorand et son invité, l'historien Patrick Boucheron, évaluaient gravement la gravité du fléau des fake news. Et encore plus tard, c'était le revuiste de presse Claude Askolovitch, qui en rajoutait une petite pincée sur Russia Today, grande productrice de fake news. Cette hypertrophie de la déploration n'a malheureusement pas laissé à Askolovitch le temps d'informer les auditeurs qu'il avait relayé, la veille, une belle rumeur totalement fausse, à propos de Netflix (notre article ici). Le manque de temps, quel fléau, aussi !

A propos de Thomas Legrand, j'avoue ne pas l'écouter tous les matins, mais souvent, quand je tombe sur sa chronique au hasard du zapping, mon confrère se pose la même question, sur "la vraie nature du macronisme". Près de deux ans après la présidentielle, il ne parvient toujours pas à cerner "la vraie nature du macronisme". Quel peut bien être le point commun entre la suppression de l'ISF, l'augmentation des taxes sur les carburants, la répression policière, Benalla, le "ça coûte un pognon de dingue", et autres macronnades ?

Sans prétendre détenir la réponse, je me permets de suggérer à Thomas Legrand de lire un article récent, sur Mediapart, de Romaric Godin (qui fut aussi, trop brièvement, notre chroniqueur). Pour Godin (je vais résumer), c'est dans sa doctrine économique qu'il faut chercher les origines de ce qu'il appelle l' "évolution autoritaire" de Macron. Ainsi, "l’identité politique de l’hôte de l’Élysée peut se comprendre comme l’idée qu’il convient de briser avec les compromis du passé et de soumettre le pays, pour son « bien », à l’ordre économique". Pour Macron, "les investisseurs choisissent les pays qui seront les destinataires de leurs bienfaits et la fonction des États est de se rendre « attirants ». Ceci est clairement une politique néolibérale".

Cette exigence étant, aux yeux de Macron, une simple adaptation à la "vérité" du monde, elle doit se faire à marche forcée, y compris contre la volonté du peuple. Problème : le socle de soutien à cette politique économique est réduit à un " bloc bourgeois ". Un bloc qui n’est pas majoritaire, à la différence de ce que l’on observe dans les pays du nord de l’Europe, mais qui, système électoral oblige, peut l’emporter compte tenu de la division du bloc adverse. Sauf que ce bloc adverse peut faire front pour s’opposer à la politique de destruction du modèle français". Un bloc adverse qui "fait front", en dépit de toutes ses différences, ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, ce sont les Gilets jaunes.

Résultat : "puisque le président de la République connaît la vérité, sait quelle est la bonne voie pour la France, il a le devoir, pour le bien de la France, de mener le pays dans cette voie, contre le désir du pays lui-même. Il lui faut faire le bonheur de « son » peuple malgré lui. Et cela vaut bien de le secouer, par une limitation du droit de manifester, par une tentation de contrôler la « neutralité » de la presse (donc son acceptation de la « vérité » néolibérale) et par une répression des mouvements d’opposition".

Cette analyse n'est pas précisément nouvelle. Que Macron soit un adepte du néo-libéralisme, même les moins lucides d'entre nous l'avaient soupçonné. Elle est peut-être un peu généralisante : ainsi, à mes yeux, la "tentation de contrôler la neutralité de la presse" ressort davantage de l'ébriété verbale présidentielle, que d'une doctrine construite. Ainsi encore, on est en train de s'apercevoir que la tentative de perquisition chez Mediapart visait moins le journal en ligne que...l'entourage du Premier ministre lui-même, même si l'épisode révèle la docilité de la Justice. Mais ce texte a le mérite de coller au moment présent, et de fournir une clé à de nombreux actes et mots du pouvoir.


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