La règle et le garnement
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 202 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Enfin. Enfin, cinq ans après, dans les cordes, à deux doigts de la porte
, après kyrielle d'avertissements, le garnement tend ses doigts pour recevoir les coups de règle. Le Fouquet's, il n'aurait pas dû. Le yacht, il n'aurait pas dû. Casse toi pauv'con, il n'aurait pas dû. Son fils à l'EPAD, il n'aurait pas dû. Mais c'est pas ma faute, Madame Monsieur. Je savais pas qu'il fallait pas. Je pensais pas que ça ferait tant de barouf. Et puis j'avais la tête ailleurs: ma famille explosait. Le Fouquet's, le yacht, c'était pour reconquérir Cécilia.
On est partagés. D'un côté la compréhension, bien entendu, la compréhension à l'usure, car tout le monde est fatigué de lui. OK, qu'on écoute ses explications, qu'on le considère quitte s'il le veut, qu'on lui montre la porte, et qu'on l'oublie. Qu'on l'oublie vite. Qu'on oublie ces cinq ans, pendant lesquels on ne pouvait plus regarder notre pays en face. Disons que ce fut un malentendu, et tournons la page, et parlons enfin de l'Europe, de l'Allemagne, du réchauffement, de la croissance, du nucléaire, du protectionnisme, reprenons les choses sérieuses.
Quand on pense qu'il aura fallu cinq ans, pour que Pujadas ose saisir sa règlette ! Ce qu'il ne faudra pas oublier, ce qu'il faudra autopsier un jour, c'est l'aveuglement volontaire médiatique, qui a rendu possible ce cauchemar national. C'est, chez nous, parmi les journalistes, ce noeud de confort et de conformisme, de terreur et de servilité, qui a dissimulé au pays, avant et après 2007, le vrai visage du voyou. Comment d'autocensure en silence, il advient qu'on peut un jour, dans un vieux pays démocratique, et devant les corps constitués, ceindre le grand collier de la légion d'honneur à Scarface, ou, si l'on est indulgents, à Billy the kid.