La guerre, pourquoi pas, mais laquelle ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 173 commentaires

Dans Kyiv assiégée, ou presque, Volodymyr Zelinski reçoit les télévisions européennes. Après les salutations d'usage, – "Monsieur le président, comment allez-vous ? Vous dormez bien ? Avez-vous du temps pour votre famille ? Avez-vous le temps de lire ?" – Agnès Vahramian (France 2)  pose à Zelenski "la" question : "Comprenez-vous que les Européens ne souhaitent pas entrer en guerre contre une puissance nucléaire ?" Question qui fâche, et ne fera pourtant pas obstacle à un selfie souriant après l'entretien.

Question qui fâche, mais plus que légitime, nécessaire. Oui, Zelenski est un héros. Oui, les selfies, pourquoi pas ? Mais c'est un héros dont les médias européens ne devraient reprendre le discours qu'avec précaution. De fait, reprendre sans en rappeler les conséquences l'exhortation permanente de Zelenski au verrouillage de l'air au-dessus de l'Ukraine, c'est pousser l'opinion vers la guerre nucléaire. Encore une fois, pourquoi pas ? On a le droit, comme Zelenski, d'estimer que nous sommes déjà en guerre. Encore, idéalement, les peuples devraient-ils y marcher les yeux ouverts, et non pas en somnambules, comme en 14.

La presse parfois pousse à la guerre, et parfois au contraire en dissuade. Dans les années qui précèdent 1914, elle pousse à la guerre nationaliste de revanche, (notamment parce qu'elle est abreuvée de fonds secrets tsaristes). En 38-39, la confluence de la lâcheté munichoise de la presse grand public, et du pacifisme pro-nazi d'extrême-droite, pousse inversement aux accommodements illusoires. Dans les deux cas, il est permis de juger rétrospectivement qu'elle avait tort (même s'il faut se méfier des vérités rétrospectives, voir le matinaute d'hier).

En 38-39, rares sont les voix qui tranchent avec le pacifisme béat ambiant. Parmi elles, celle d'un oublié, le député-journaliste (de droite) Henri de Kerillis, que j'ai découvert en écrivant La guerre avant la guerre. À partir de Munich (octobre 38), à la Une de l'Époque, son journal, il pousse chaque jour à l'armement à outrance. "Il faut en imposer à l'ennemi par l'audace des mesures de salut public. Vous entendez, Monsieur Daladier ? Évacuez ou préparez l'évacuation de Paris et des grandes villes ! Dispersez vos usines de guerre loin à l'intérieur du pays. Commandez du matériel à l'Amérique. Faites travailler les chômeurs aux fortifications."

Si l'on prend le parti, aujourd'hui, de tenter d'éviter la troisième guerre mondiale, la seule évidence, concernant l'Europe de l'Ouest, c'est qu'il faut se préparer à une terrible guerre énergétique, c'est à dire à se passer durablement du gaz russe (pour lequel nous payons chaque jour au fournisseur 400 millions de dollars). Cela suppose une panoplie complète de mesures (recours aux fournisseurs alternatifs d'énergie, au gaz liquéfié, rénovation des logements, etc.), que liste cette minutieuse enquête de L'Obs. D'un mal pouvant jaillir un bien, dans ces mesures, figure la production massive d'énergies renouvelables. Justement, une excellente enquête de Reporterreretrace les errements français en matière de production nationale de panneaux solaires. Le gouvernement, depuis le 24 février, a-t-il enfin pris conscience de l'urgence ? A-t-il programmé un conseil de défense de construction de panneaux solaires, d'éoliennes, de terminaux de regazéification ? Pour revenir à la campagne présidentielle, où est aujourd'hui le Kerillis qui va proposer la première mesure qui s'impose, la création d'un grand ministère de l'économie de guerre ? 


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