Journalistes : non à la haine, oui à la critique

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 47 commentaires

Ils se font insulter -"vendus", "menteurs", "youpins macronistes". Ou cracher dessus. Ou casser un oeuf sur la nuque  : étrange hostilité des Gilets jaunes contre les reporters, alors que leur mouvement bénéficie pourtant d'une totale bienveillance des télés en continu, comme parfois de la police. Mais qu'importe. Des journalistes, essentiellement de télévision, couvrant le mouvement, viennent de fonder un groupe Facebook, #PayeToiunjournaliste, initiative couverte, comme de juste, par la presse. Et qui, en tant que critique professionnel de la profession, m'interpelle, forcément.

Avant toute réflexion, un souvenir. Couvrant dans les années 80 des barrages de chauffeurs routiers qui bloquaient la France entière, j'ai le souvenir très vif, arrivant de nuit près d'un brasero de bloqueurs dans la vallée de l'Arve, d'avoir dû le salut de mon intégrité physique à la rapidité de ma course dans la neige- et je n'avais pas de caméra, seulement un carnet de notes. C'est que la nuit était froide, et qu'il faut bien picoler pour se réchauffer. Je ne l'ai pas raconté dans mes reportages, ni créé de groupe Facebook. A tort peut-être, j'ai dû considérer que c'étaient les risques du métier. Ou que ce n'était pas "représentatif". Ou que sais-je.

Ces agressions sont aujourd'hui plus visibles. Dans les meetings de la dernière présidentielle, par exemple, il est fréquemment arrivé que l'orateur désigne les journalistes présents aux sarcasmes, ou aux insultes, de son public -en France, et bien entendu à l'étranger (Trump). A chaque fois, ces incidents sont surmédiatisés par les vidéos buzz des émissions "méta", aujourd'hui quasiment plus nombreuses que les émissions politiques. 

Toute agression physique de journaliste, toute menace, toute insulte même, doit être condamnée, y compris pénalement le cas échéant, a fortiori lorsqu'elle émane d'un responsable politique.  La haine de la presse en général, et des journalistes en particulier, n'est ni juste ni saine -et Mélenchon, pour ne pas le nommer, sert plus efficacement son message en devenant une star de Youtube, ou en créant sa webtélé, qu'en insultant les journalistes. "Don't hate the media. Be the media" : vieille histoire.

Mais la haine est une chose, et la critique en est une autre. Et de cette critique, la presse elle-même peut être un instrument, consentant ou non. Profiter de la présence d'un journaliste en direct pour faire passer un message en contrebande, au moyen d'une pancarte, ou d'un polo judicieusement composé (voir ci-dessous), est de bonne guerre. Retourner la puissance de la presse contre elle-même, la pirater pour faire ressortir cette puissance aux yeux du public, renvoyer leurs questions aux journalistes pour mettre en évidence, le cas échéant, leur incompétence ou leurs présupposés, bref déconstruire leur discours, tout cela est juste et nécessaire. Et peut même être profitable aux journalistes eux-mêmes. La limite est parfois subtile, mais elle existe.



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