Journalisme de choc sur France 2

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 110 commentaires

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Le choc. Même titre pour L'Huma et Le Figaro. Et si seulement c'était la première fois !

A 31 ans d'écart, rappelle utilement "L'oeil du 20 Heures", de France 2, ce titre fait même écho à une manchette identique de Libé, en 1984, à propos d'une percée de Le Pen (père) aux Européennes. Trente ans de manchettes aussi grasses que creuses. Trente ans de manchettes qui n'expriment rien d'autre que sidération, impuissance, incompréhension, oeil rond, bouche ouverte, et par dessus tout, la trouille de fâcher quiconque.

A situation de choc, journalisme de choc : le reporter de France 2 insiste auprès des paisibles Bourguignons de Genlis (Côte d'Or). "Qu'est-ce que vous vous dites personnellement, au moment de voter FN ?" "Je me suis dit, faut que ça change. Il y a des cambriolages pas loin". Mais ces paroles vagues ne lui suffisent plus, au reporter de France 2. Réalisant que le micro-trottoir traditionnel n'était pas à la mesure de l'événement, la chaîne a opté pour le micro-trottoir amélioré, celui qui conserve au montage les questions insistantes du reporter, manifestant que cette fois, il veut vraiment prendre le mystère par le col, aller traquer le ressort du vote Le Pen au plus profond de la la fibre cervicale des habitants de la paisible bourgade. "Mais ici, par exemple, est-ce que vous avez été vous, concrètement, touchés par des actes de délinquance ? Concrètement ? Ici." "Oui" "Quand ?" "Ben y en a souvent". "Mais vous ? Vous ?" "Oh non parce que nous dans le quartier, on a construit, on est tranquilles". "Donc vous n'avez jamais eu de problèmes ?" "Oh non, parce que je me laisse pas faire. Un petit jeune qui fait son bazar et qui détruit tout..." "Mais c'est déjà arrivé ?" "Bien sûr" "Chez vous ?" "Non pas chez moi" "Donc si je comprends bien ici il ne se passe pas grand chose". "Une fois on m'a fait un bras d'honneur, et on m'a coursée derrière ma voiture" "Et tout ça, ça vous conduit à voter Front National ?" "Il faut changer, dans la vie".

Mais vous ? Vous même ? Personnellement ? Concrètement ? Ici ? Quand ? Parfait. Il n'est jamais trop tard pour tenter de comprendre. On aurait déjà pu faire les mêmes reportages, exactement les mêmes, dans les années 80, ou dans les années 90, ou encore en 2002, quand l'accession de Le Pen (père) au second tour de la présidentielle avait couronné un emballement médiatique sécuritaire de plusieurs mois, notamment sur France 2. La belle découverte. Aujourd'hui comme hier, dans les paisibles bourgades, ce sont notamment les rumeurs du voisinage, qui nourrissent le vote fatal. Encore un petit effort, et France 2 découvrira que les faits-divers anxiogènes montés à la Une par le 20 Heures pourraient bien, qui sait, ne pas être non plus totalement étrangers au phénomène.

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