Japy-Gaza

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 81 commentaires

Si je ne devais retenir qu'une image du déferlement de ce week-end, à Jérusalem, à Gaza, ou ailleurs, ce ne serait pas un lynchage. Ce ne serait pas l'immeuble d'Associated Press et de Al Jazeera réduit en miettes à Gaza par l'aviation israélienne. Ce serait l'image tremblée d'un homme de 71 ans, à Paris, menotté et emmené en garde à vue par des policiers français. Président de l'association France Palestine Solidarité, Bertrand Heilbronn sortait d'une entrevue au ministère des Affaires étrangères. La police l'attendait à la sortie. Il a été libéré dans la nuit. Il lui était manifestement reproché d'avoir appelé à une manifestation de solidarité avec les Palestiniens, interdite par le préfet de police Didier Lallement, à l'inverse d'innombrables capitales mondiales où elles se sont déroulées pacifiquement, et de nombreuses villes françaises, où elles se sont déroulées tout aussi pacifiquement. 

Pour motiver cette interdiction, le pouvoir a argué d'une manifestation similaire de 2014, où aurait été crié "Mort aux Juifs". Il se trouve qu'à l'époque, nous avions méticuleusement enquêté sur l'existence, ou non, de ces cris. Résultat de l'enquête : pour les entendre, il fallait vraiment bien tendre l'oreille. 

C'est une bien mince mésaventure que celle de Heilbronn, comparée aux deuils causés par la nouvelle vague de bombardements israéliens sur Gaza. Mais elle frappe le responsable d'une association, dont on peut ou non partager la cause, mais qui n'a rien fait d'autre que d'appeler à exercer pacifiquement un droit démocratique. Elle le frappe avec, elle aussi, toutes les apparences de la légalité. Les policiers qui l'appréhendent sont courtois. Ils demandent courtoisement aux députés qui l'ont accompagné au ministère, dont la députée Elsa Faucillon, qui le filme, de circuler : "Ne vous mettez pas en infraction, s'il vous plait".

Cette courtoisie de fonctionnaires de police, qui accomplissent la mission qu'on leur a confiée. Il se trouve que cette image m'a frappé alors que j'avais encore dans les yeux l'extraordinaire série de photos publiée par le Mémorial de la shoah, de la rafle du 14 mai 1941, dite "rafle du billet vert", parce que les raflés, des Juifs étrangers, avaient été convoqués dans leurs commissariats de quartier (par un formulaire de couleur verte) "pour examen" de leur situation. Ils s'y rendirent de leur plein gré, croyant que "le meilleur rempart contre quelque menace que ce soit était de respecter la légalité, fût-elle de plus en plus contraignante", écrivait l'historien Maurice Rajsfus dans son livre La police de Vichy, réédité ces jours-ci (éditions du Détour). Transférés au gymnase Japy, puis aux camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, la plupart d'entre eux furent, l'année suivante, déportés à Auschwitz.

Jamais encore le rôle de la police parisienne dans les rafles de l'Occupation n'avait été documenté d'une manière aussi précise. Ne perdez pas de temps à me rappeler que les deux situations n'ont rien à voir, je le sais. Et ne m'objectez pas que ces deux émotions sont incompatibles, certains descendants des raflés du gymnase Japy se trouvant peut-être aux commandes des avions qui bombardent Gaza : je ne le sais que trop et non, elles ne sont pas incompatibles.


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