Injonctions molles, injonctions dures
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 308 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est maintenant un phénomène repéré : toute grande injonction politique nationale
portée par les medias mainstream, produit sur un nombre grandissant de têtes dures l'effet inverse à l'effet recherché.
On y est en plein. L'injonction est partout. Encore faut-il distinguer injonction dure, et injonction molle.
Deux exemples. Plongeons par exemple dans une demi-heure matinale de France Inter (au hasard, ce matin). Thomas Legrand explique que les deux "Non" à Maastricht, non de gauche et non de droite, sont sur le point de "se rejoindre" (qu'est-ce à dire ? Défiler ensemble ? Organiser des goûters communs ? Multiplier les mariages mixtes ?) Arrive ensuite un philosophe, André Comte-Sponville, qui, du haut de sa chaire, révèle que"les populistes" (comprendre, Le Pen et Mélenchon, confondus et rejoints) ne parlent qu'aux "passions tristes", tandis que les autres, c'est bien connu, s'adressent à la raison.
Une demi-heure durant, l'auditeur aura subi une injonction molle. France Inter ne lui "ordonne" pas de voter Macron. Mais s'il n'a pas compris tout seul que tout autre comportement en ferait un triste complice de Le Pen, c'est qu'il n'est pas bien réveillé. Si, au terme de cette demi-heure, ledit auditeur, à supposer (au hasard) qu'ayant voté Mélenchon au premier tour, il ait vraiment l'intention de voter Macron pour s'opposer à Le Pen, si donc il persiste dans cette intention, il aura fait preuve d'une remarquable résistance.
Mais l'injonction est partout, ces temps-ci, et pas seulement sur France Inter. Du forum de la chronique matinaute d'hier, consacrée à la journée Whirlpool, j'extrais le post suivant : "De grâce cessez de gesticuler pour tenter de nous dire qu'il ne peut pas être si mauvais (...) M.Macron EST mauvais, comme candidat, comme politique, comme homme (...)Je vous conseille cher DS de cesser de pondre un article de genre par jour, ou vous finirez par désespérer vos abonnés.
On a bien compris votre position: tout sauf le Pen. Mais ça ne prend plus. Pourquoi n'y a-t-il personne dans les rues? Croyez-vous que nous ayons "admis" que la présence du FN est "normale", comme l'ont avancé certains éditocrates? Non (...) Nous sommes fatigués d'être les dindons de la farce, contraints de mettre genoux à terre et d'adouber le mal ou la cause du mal (...) Alors cher DS, moi qui vous suis depuis longtemps, je vous prie d'une chose: cessez d'étaler votre bonne conscience dans vos chroniques, faites votre choix de citoyen comme nous ferons le nôtre. En conscience et dans l'isoloir (...) Ayez pitié de notre intelligence, gardez vos leçons de morale et vos pleurnicheries".
Au total, cinq verbes conjugués à l'impératif : (cessez -deux fois- faites, ayez pitié, gardez), assortis pour faire le bon poids d'une petite menace ("vous finirez par désespérer vos abonnés"). On est ici dans l'injonction dure, plus frontale, plus directe, plus franche, que l'injonction molle des Legrand et des Comte-Sponville. Considérons que ces deux injonctions sont engagées dans un concours d'inefficacité. Laquelle gagnera ?
Injonction, par Philippe Geluck