Il reste à Lucet à courser le pape...

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 47 commentaires

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Délaissant pour quelques heures la présidentielle et les pêcheurs profanes, Cash investigation et Mediapart

se sont penchés sur la pédophilie au sein de l'Eglise de France. Résultat en chiffres : 32 agresseurs (prêtres, religieux ou laïcs) actuellement en vie et ayant fait 339 victimes – dont 288 étaient au moment des faits des mineurs de moins de 15ans – dans l’Hexagone ou à l’étranger ont été couverts, en France, par 25 évêques "dont cinq sont toujours en poste", assurent les auteurs, qui développent aussi leur enquête dans un livre "Eglise, la mécanique du silence" (Lattès).

Cash a coursé tous les prêtres, tous les évêques possibles et imaginables. Ils ont coursé des prêtres pédophiles exfiltrés par l'Eglise loin du lieu de leurs forfaits. Ils ont coursé des évêques qui ont couvert ces prêtres pédophiles. Ils ont coursé des cardinaux qui ne les ont pas dénoncés à la Justice. Ils coursent les esquives, les aveuglements plus ou moins volontaires, les lâchetés.

Il reste à Elise Lucet à courser le pape. On imagine leurs blagues, à la production, pendant la réalisation de l'enquête. Leur incrédulité. Leurs paris. Pas le pape, quand même ? Mais si ! Ce qu'on reproche à Jorge Bergoglio ? D'avoir tenté de faire pression sur la Justice argentine, en commanditant une grosse contre-enquête, interne à l'Eglise, pour tenter de discréditer la parole d'un enfant qui se plaignait d'agression sexuelle par un écclésiastique argentin très médiatique, Julio César Grassi. Lucet et son équipe ont demandé "des dizaines de fois" des rendez-vous au pape. En vain. Une tentative directe aura-t-elle davantage de succès ? Va-t-elle arriver à accrocher le pape ? tease la chaîne, haletante.

Arrive enfin le soir de l'émission : presque deux heures de courses poursuites et de dénégations. Ecoeurement des spectateurs. La séquence papale, comme il se doit, a été montée en apothéose, à la toute fin de l'enquête. Et voici donc Lucet, dans la foule de la place Saint-Pierre. Il passe une première fois en papamobile. Elle tente de lui remettre une enveloppe. Mais le revoici, à pied, presque accessible. Lucet, en espagnol :"Votre Sainteté, avez-vous tenté d'influencer la Justice argentine ?" Il s'arrête dans sa marche. Il tend l'oreille. Il n'a peut-être pas bien entendu. Ou n'en a pas cru ses oreilles de pape. Nous non plus, d'ailleurs. Le pape ! Elle répète, détachant ses mots : "Votre. Sainteté. Dans le cas. Grassi. Avez-vous tenté. D'influencer. La Justice argentine ?" Grimace. Dénégation de la tête. On entend vaguement : "para nada". Pas du tout. Lucet : "Non ? Pourquoi avoir commandé une contre-enquête, alors ?" Il la regarde, ahuri, réalisant qu'il est en train d'accorder une interview à l'arrache. Le cardinal Bergoglio a traversé, tant bien que mal, la dictature argentine. Le pape François a survécu jusqu'ici aux intrigues vaticanes. Mais là, il vient de rencontrer son siècle.

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