Hulot et le cheminement d'une information indésirable

Daniel Schneidermann - - Investigations - Scandales à retardement - Le matinaute - 110 commentaires

Invité hier soir des Assises du journalisme à Tours, Nicolas Hulot a dû quitter prématurément le débat, perturbé par des militant.e.s féministes, qui lui rappelaient les accusations de viol portées contre lui. Après l'annulation en 2019 d'une conférence de la philosophe Sylviane Agacinski à Bordeaux, sur pression d'autres militant.e.s,  il est à craindre que l'épisode nourrisse durant quelques prochaines années les accusations de "censure woke", portées contre les féministes. Voici donc ce que je suis en mesure d'en dire ce matin. Lisez attentivement les dates, ce sont elles qui racontent l'histoire.


"Ç'a été jugé par la justice, la justice a parlé", a rappelé Hulot à Tours, en lisant sur son smartphone une phrase du procureur de Morlaix de l'époque : "Les faits dénoncés n'apparaissent en aucun cas établis." C'est à la fois vrai et faux. Les faits reprochés, qui remontent à 1997, ont fait l'objet d'une plainte par la victime onze ans plus tard, en 2008. C'est alors que Hulot a été entendu par les gendarmes (et non "il y a vingt-cinq ans", comme il le répète), et que le procureur de l'époque a considéré que les faits étaient à la fois prescrits, et non établis. Ensuite, dix ans passent encore, avant que l'affaire soit exhumée en 2018 dans l'éphémère magazine EbdoMais d'une plume tremblante : Ebdo s'est contenté d'évoquer la plainte et sa prescription, sans préciser les faits eux-mêmes, ni publier le nom de la plaignante. Ce scoop tonitruant et vide, et qui m'est alors apparu comme tel à la lecture, sera fatal à la crédibilité de l'hebdomadaire.

Depuis 2018, silence à peu près général jusqu'à la publication en cette rentrée d'un livre de mon estimé confrère Jean-Michel Aphatie (dont je ne peux plus vous parler aussi souvent que je le souhaiterais depuis qu'il m'a bloqué sur Twitter). Dans ce livre Les Amateurs (Flammarion), chronique du quinquennat Macron, Aphatie y consacre trois chapitres.

Il commence par raconter comment Hulot a demandé en 1997 au patron de l'agence photo Sipa, Göksin Sipahioglu, de lui envoyer en Corse, en reportage "exclusif" sur sa nouvelle maison, la jeune (19 ans) photographe Pascale Mitterrand, petite-fille de l'ancien président, dont Hulot venait d'apprendre qu'elle effectuait chez Sipa un stage de fin d'études ; comment Pascale Mitterrand, débutante, peu sûre d'elle, a demandé à s'y rendre accompagnée ; comment Hulot a refusé. Pascale Mitterrand est donc restée en Corse plusieurs jours, en présence de Hulot.

Dans le chapitre suivant, Aphatie apporte un élément nouveau. Il rappelle que la journaliste Bérengère Bonte a publié en 2010 une biographie de Hulot, Sain-Nicolas (Editions du Moment). Dans cette biographie, elle évoque déjà sommairement "une petite-fille de François Mitterrand qui passe une semaine chez lui sans ramener aucun cliché". Sans insister. Mais huit ans après la publication de son livre,  et six semaines après la parution d'Ebdole 16 mars 2018, dans une réunion publique, Bonte a exhumé l'enregistrement audio d'une interview de Sipahioglu, qu'elle avait effectuée pour son enquête de 2010. Malgré l'interdiction des captations audio et vidéo, un participant a capté la prestation de Bonte, et la bande-son du patron de l'agence qu'elle y a diffusé (vous suivez ?) : "Elle est partie une semaine chez lui, en Corse, il ne l'a pas laissée faire des photos à l'intérieur. Mais elle était contente, elle a dit que c'était bien."  "Ce que j'avais à peine relevé, a raconté ensuite Bonte dans cette réunion, et que j'entends à la réécoute, c'est qu'il dit que c'était une expérience pour elle, et il ajoute : «Lui a sans doute passé un bon moment mais il n'a pas donné l'exclusivité de la maison.»" Et  il ritRappelons que devant les gendarmes, en 2008, Hulot a reconnu la relation sexuelle, mais assuré que la jeune photographe était consentante.

"Cet enregistrement m'a choquée, a ajouté Bérengère Bonte. Je vais même vous dire : il me hante, j'y repense tout le temps. Il y a dix ans, je riais au récit d'un vieux monsieur qui me disait avoir envoyé une jeune photoreporter à un homme qui l'avait choisie et qui voulait qu'elle vienne seule. Je n'ai pas creusé, je n'ai pas cherché à savoir […] Comment passer à côté de ça ? Comment se taire ? J'ai beaucoup hésité à partager cela avec vous. Je l'ai fait à cause du choc."

Dans le troisième chapitre des Amateurs consacré à l'affaire, Aphatie raconte enfin comment Mazarine Pingeot, écrivaine, et tante de Pascale Mitterrand, a publié en 2019 un roman à clés, Se taire, (Julliard) rappelant par bien des aspects l'épisode corse. L'autrice a toujours démenti qu'il s'agisse d'un roman à clés.

Vous savez tout. À vous de vous forger votre opinion sur la domination masculine, la présomption d'innocence, la liberté d'expression, la frilosité des éditeurs, les exigences de la promotion, les autocensures volontaires et inconscientes, la censure woke, la cancel culture, et le cheminement souterrain d'une information indésirable.

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