Haïtiens, forcément pillards
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 125 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
A croire que les séïsmes secouent aussi la fange de nos préjugés
, faisant remonter à la surface les représentations qui somnolent comme des crocodiles, quelque part, au fond de nous. Miséreux, s'adonnant aux cérémonies vaudou, adepte des supplices les plus barbares comme le pneu enflammé passé autour du cou des adversaires, le Haïtien ne peut donc être que pillard, forcément pillard.
A force de les attendre, de les craindre, de les redouter, ils finiront peut-être bien par arriver, les pillages, en Haïti. Mais l'apparition du mot, à peine passé le premier réflexe d'épouvante devant l'ampleur de la catastrophe, a précédé de loin celle du phénomène. Plusieurs jours durant, la presse française titra sur "la crainte des pillages". Ainsi le site du Parisien, comme le remarquait Gilles Klein, titrait-il une vidéo dans laquelle on voyait des Haïtiens plonger dans les ruines, pour y rechercher des vivres afin de nourrir leur famille. Encore ce matin, le directeur de Libé, Laurent Joffrin, met en garde contre les clichés, alors qu'une photo de son propre journal, en face de son propre édito, est légendée "deux pillards se disputent un sac, à Port-au-prince". D'où vient ce sac ? Distribué ou "pillé" ? Comment le savoir ? |
Il est très improbable que le légendeur de la photo soit consciemment raciste. Mais l'insistance irrésistible du mot, sous la plume, dit la puissance des préjugés.
Dans sa belle interview au Monde, l'écrivain Dany Laferrière met aussi en garde contre le mot "malédiction". Il a raison. Il ne viendrait à l'idée d'aucun titreur d'évoquer une "malédiction japonaise", ou une "malédiction californienne". En Californie, où un tremblement de terre ne peut être que cinématographique, c'est le "big one" qu'attendent les titreurs à chaque secousse. Pourquoi donc une "malédiction" haïtienne ? Poser la question, c'est y répondre : pour avoir, lors de la guerre d'indépendance, "chassé les blancs". Tous ces mots, s'ils ne disent rien de la réalité présente, nous révèlent beaucoup sur les méandres de la mémoire.