Gréco est arrivée

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 59 commentaires

Dans les petits bijoux méconnus apparus sur les réseaux à l'annonce de la mort de Juliette Gréco, cette étonnante interprétation du poème d'Aragon, La rose et le réséda. Parvenir à érotiser ainsi cette chanson de la Résistance et du sacrifice, seule Gréco pouvait sans doute s'y atteler. Pour qu'à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat,  chuchote-t-elle, avec dans le muscat une invite à la Déshabillez-moi, qui ne laisse d'autre choix que de mordre dans la grappe, à bouche éperdue.


Plus connues sont les reprises de Brel, qui ont donné naissance à album. "Il a couché avec tout le monde sauf avec moiraconte la Muse à Véronique Mortaigne, du Monde, lors de la sortie de l'album. Je me dis que j’ai peut-être raté une marche, mais cela ne m’intéressait pas du tout, c’était lui que j’aimais. Comme avec Brassens. Qui m’a fait, paraît-il, des avances, mais je n’ai jamais rien vu. Ce qu’ils étaient était bien plus intéressant!"

Cette liberté, cette sûreté intérieure qu'il faut avoir, pour oser prendre à l'abordage un monument comme le J'arrive de Brel.  Impérieux, rageur, exaspéré, le dialogue de Brel avec la Mort pouvait paraître irrécupérable, imprenable. C'est de vive force, que Brel arrache un sursis jusqu'à l'été, jusqu'au printemps, jusqu'à demain. Jusqu'aux séances d'enregistrement du dernier album, celui de Gauguin et des Remparts de Varsovie, après l'ablation d'un poumon, le Grand Jacques rigolera de Celle qui nous attend -"personne n'a vu un poumon, les gars ?" 


Et voilà notre Jujube. Et la voilà qui se glisse dans le même dialogue. Mais toute superbe, tout orgueil, toute fierté abandonnés, elle ose supplier, une supplication hallucinée, tandis que se rapprochent les sommations implacables des archets. Ainsi retourne-t-elle la chanson comme un gant. Ainsi aura-t-elle arraché un long sursis.



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