Gilets jaunes : visibilisons quelques entourloupes fiscales

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 102 commentaires

D'un mouvement social insaisissable et innovant comme celui des Gilets jaunes, il faut éviter de tirer des conclusions péremptoires, et je n'aurais pas dû le faire hier en le qualifiant de mouvement "de droite", du fait que son étincelle est une revendication anti-fiscale. D'abord, parce que le mouvement ne s'y résume pas. Et ensuite, comme le font remarquer beaucoup d'entre vous, on ne peut pas mettre dans le même sac impôts directs (proportionnels au revenu ou au capital),  et taxes par définition inégalitaires, puisqu'elles touchent tout le monde de la même manière, et donc proportionnellement davantage les pauvres que les riches.

Ensuite parce que sur les hausses des taxes sur les carburants elles-mêmes, étincelle du mouvement, il y aurait beaucoup à dire. Et la survisibilité des Gilets jaunes sur les écrans de télé (c'est d'ailleurs le but : survisibiliser les invisibles) a le mérite d'attirer l'attention, pour peu qu'on cherche un peu, sur une entourloupe fiscale invisible, une de plus : les mécanismes de la hausse des taxes sur les carburants. Je vous laisse lire cet article plein de chiffres de Checknews, c'est le plus complet que j'ai trouvé sur la question, même s'il faut se poser cinq minutes et prendre un crayon. Soit dit en passant, tout le mouvement haussier avait été initié par le duo Royal-Hollande, avant que Hulot-Macron ne donnent un coup de pouce supplémentaire, ce qui permet d'apprécier à leur juste valeur aujourd'hui les couinements du "lanceur d'alerte" Hollande.

A l'entourloupe elle-même, s'ajoute que le produit de cette hausse est loin d'être intégralement fléché vers la transition énergétique, laquelle n'en reçoit qu'environ 20%, si j'ai bien compris. Si le gouvernement l'a décidée, ce n'est pas pour abonder la transition énergétique. C'est pour dissuader indistinctement l'automobiliste de prendre sa voiture. C'est ce qu'on appelle des "taxes comportementales". Le principe n'en est pas absurde, loin de là. A condition qu'on l'explique, qu'on l'assume, que l'on mette tout sur la table. Il ne faut pas prendre les gens pour des abrutis.  Tiens, en passant, à propos du retrait du crédit d'impôts de la rénovation des fenêtres des "passoires thermiques" (voir le matinaute d'hier), "Matignon" explique à la presse que la mesure ne profitait qu'aux ménages aisés. Ah tiens ! Il y a des chiffres ? On peut les connaître ?

Vous en voulez encore, des entourloupes ? Dans les revendications des gilets jaunes, revient fréquemment l'incroyable exemption de toute taxe du kérosène, en vertu d'une réglementation internationale remontant à 1944, quand les Etats-Unis devaient reconvertir en production d'aviation commerciale leurs usines d'avions de guerre. Alors député de l'opposition, François de Rugy n'avait pas de mots assez durs contre cette aberration, consistant à surtaxer les trajets en voiture, et pas les trajets en avion. "On ne peut pas" taxer le kérosène, répétaient tous les gouvernements, avec la même force de conviction qu'ils expliquaient qu'on ne pouvait pas obliger Carlos Ghosn à réduire ses prétentions salariales.

Et aujourd'hui ? Il faut regarder le même de Rugy, éviter la reporter de Quotidien et finir par lui lâcher : "vous voulez qu'on renchérisse les billets d'avion ?" Mais oui, Monsieur le ministre de l'écologie ! C'est aussi simple que ça !  Je pourrais continuer, mais je ne veux pas abuser de votre temps, et il faut en garder pour tous les jours.

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