Génération Bataclan : Barthès en état d'urgence
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 102 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il le fallait bien : Manuel Valls vient se pencher sur la génération Bataclan.
Et il a même fait le déplacement jusqu'à la terrasse préférée de la génération Bataclan, son QG télé : le plateau du Petit Journal. Le Premier ministre y est en terre étrangère, et d'ailleurs, admet-il, "ça fait longtemps que je ne me suis pas bourré la gueule" (citation à buzz). Valls en défenseur de "notre art de vivre" (mojitos, hard rock, tarpés), comme en janvier sortant de l'Elysée avec Charlie Hebdo sous le bras : à ce rythme, il finira le quinquennat en mangeant bio dans une ZAD. Mais on n'est pas à ça près, il a pris l'habitude.
Valls est venu combattre un adversaire plus coriace que Daech : son déficit de coolitude. Ce que demande la génération Bataclan, exprimée par Canal+, ce n'est pas seulement d'être rassurée. Mais d'être rassurée par un type cool. D'ailleurs Valls connait bien ladite génération, il a "quatre gamins" (16 à 22 ans). Qui auraient pu être en terrasse ce soir-là. A qui il a pensé en premier le vendredi soir. C'est dire. En quarante minutes, il parvient donc à demi-sourire deux fois. La première, quand Barthès dit "ne faites pas de tunnel, vous allez devoir répondre à 5000 questions". Sur la table, s'entassent en pile les 5000 mails reçus dans la journée. C'est jeune, les mails. C'est rigolo, cette pile sur la table. Ca proclame : youpi, le Petit Journal est toujours le Petit Journal.
Ou presque. Car Barthès, lui, n'est plus tout à fait Barthès. Il lit. Il lit ses questions sur son prompteur, et aussi quelques uns des fameux 5000 mails, dont celui de "Julien, 21 ans". "J'ai peur pour nos libertés. Quelles libertés êtes-vous prêt à sacrifier ?" demande à Manuel Valls "Julien, 21 ans". Valls : "aucune liberté ! L'état d'urgence est là pour protéger nos libertés" A cet instant, si le Petit Journal était encore vraiment le Petit Journal, Barthès pourrait parler à Valls de la perquisition au Pepper Grill. Ou bien, tiens, il lui montrerait la photo d'un autre jeune homme, 21 ans lui aussi. Cette photo, précisément :
David est aveugle (et musulman, faut-il le préciser ?) A la suite d'une dénonciation, en raison de sa barbe, ou parce qu'il l'a rasée -les choses ne sont pas claires sur ce point précis- il a été, selon le site Al Kanz, gardé à vue pour 48 heures, puis assigné à résidence. Il doit se rendre trois fois par jour (à 8 heures, 15 heures, 19 heures) au commissariat, situé à cinq kilomètres de chez lui, en empruntant des transports en commun. Le site Al Kanz exagère peut-être (d'ailleurs, selon la page facebook de Beur FM, David s'appelle peut-être Daoud, mais le récit reste grosso modo le même). En temps normal, le Petit Journal aurait enquêté lui-même. Et alors oui, Barthès montrerait cette photo à Manuel Valls, pour l'obliger à la regarder, à répondre sur le cas de David. Il ferait ça très bien. Mais non. "Aucune liberté", dit Valls. Visiblement soulagé, Barthès répète : "donc moi, et les personnes qui sont ici (vaste geste circulaire sur le public du Petit journal, où par hypothèse ne figure aucun perquisitionné potentiel), aucune liberté..." Ouf ! Les gens normaux seront épargnés. La génération Bataclan est en état d'urgence.