Et si Snowden était un agent des aliens ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 29 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Vous savez quoi ? Edward Snowden serait un espion russe.
Ce sont des parlementaires américains qui l'affirment. La rumeur s'est répandue ces derniers jours, propagée ici et là. Elle est parvenue jusque dans la vieille Europe. On choisit de cliquer ou non. Mais même si l'on ne clique pas, on a lu le titre, la rumeur s'est insinuée, et elle va demeurer lovée dans un coin du cerveau.
Et puis, Snowden lui-même l'affronte à bras-le-corps, dans une de ses rares interviews, accordée au New Yorker. Le magazine rappelle les circonstances dans lesquelles l'accusation a été portée. Invité de l'émission de NBC "Meet the press", c'est le représentant républicain du Michigan, Mike Rogers, président de la commission sur l'espionnage de la Chambre, qui, interrogé avec une complaisance qui fait réfléchir sur l'increvable mythologie de la pugnacité des medias américains, décrit Snowden comme "un voleur qui, d'après nous, a bénéficié d'aide". Dans la même émission, le présentateur se tourne ensuite vers son homologue au Sénat, Dianne Fennstein (démocrate, Californie), pour lui dérouler le même tapis rouge qu'il vient de dérouler à Rogers : "c'est possible. A ce stade, nous ne savons pas". Autrement dit, deux des parlementaires américains qui, bénéficiant d'informations de première main, seraient le mieux placés pour savoir si Snowden est, oui ou non, un espion russe (et s'ils avaient des infos, on peut parier qu'ils en feraient état, plutôt deux fois qu'une), l'insinuent de concert, dans une émission de grande écoute, mais en admettant ne pas avoir la moindre preuve. Joint par le New Yorker pour préciser ses accusations, Rogers n'a pas donné suite.
Que répond Snowden ? Bien entendu, il réfute l'accusation (mais on n'est pas obligé de le croire. Il est très rare qu'un espion admette qu'il est un espion). Mais surtout, très justement, il se déclare davantage stupéfait par la pseudo-neutralité des animateurs d'émission, qui laissent les politiciens colporter la calomnie, que par la calomnie elle-même. "Il est stupéfiant que les medias de masse n'aient pas une position éditoriale sur ce sujet. Ils ont un rôle majeur à jouer dans la société américaine, et ils abdiquent leur pouvoir de vérification". Et d'imaginer, avec un certain réalisme, les prochains talk shows : "nous ne savons pas s'il a été aidé par les aliens." "Vous savez, je me demande sérieusement s'il existe vraiment".
Snowden tape d'autant plus juste qu'un haut responsable du FBIreconnaissait dimanche dans le New York Times que le jeune informaticien, qui pose sans doute à Obama une des questions de conscience les plus complexes de sa présidence, avait très vraisemblablement agi seul. Mais l'accusation portée contre ces animateurs de talk shows, qui laissent sur leurs plateaux courir les calomnies les plus énormes, pourvu que leurs auteurs soient titulaires de mandats officiels, dépasse de beaucoup la simple affaire Snowden. C'est toute la fabrication de l'info, par les medias de masse, que met à nu cet épisode minuscule. Et particulièrement le genre du talk show politique. Peu importe à l'animateur que ce qui se profère sur son plateau soit vrai ou faux. Seuls comptent l'impact, et les reprises. Plus c'est gros, plus importantes seront les reprises. A cette échelle, "Meet the press" a parfaitement rempli sa mission, puisque on en parle jusque dans la vieille Europe.
Selon que vous serez pro ou anti-Snowden, NBC ne vous interrogera pas de la même manière