Et si les sondages tuaient les sondages ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 53 commentaires
Tiens, un nouveau sondage. Zemmour serait au second tour. "Pour la première fois"
assure Yahoo. C'est faux. Un mois plus tôt, un autre sondage avait déjà donné Zemmour au second tour, battant Marine Le Pen au premier (17 contre 15), mais avec une marge d'erreur de 5%, ce qu'il ne précisait évidemment pas. Zemmour vient de "creuser l'écart"
avec Marine Le Pen, commente BFMTV. En sens inverse, Les Échos
notaient il y a quelques jours que le polémiste ultra-nationaliste et multi-condamné connaissait un "coup d'arrêt brutal à droite"
. Mais selon CNews, pour 93% des Français, "la sécurité est une préoccupation importante"
. Si CNews le dit...
Emmanuel Macron annonce un programme de construction de centrales nucléaires ? Ça tombe bien. Quelques jours plus tôt, Les Échos
titraient qu'"une majorité de Français [...] reconnaît les mérites du nucléaire"
. Soyons justes : d'autres sujets sont aussi sondés. Dans le JDD
, 69% des mêmes Français se disent favorables à l'interdiction de la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires. Selon un sondage pour le site Acteurs publics
, plus de huit Français sur dix sont "inquiets du niveau de la dette publique"
(c'est intentionnellement que je n'indique pas tous les liens. Vérifiez vous-même, si vous ne craignez pas d'offrir du clic à la junk-info).
Bref, le commerce du sondage tourne à plein régime. Et en dépit de l'enquête du Monde
, dont je rendais compte ici, rien ne laisse prévoir une accalmie. On connaissait les marges d'erreur faramineuses, les questions biaisées, les interprétations tordues des médias commanditaires. On savait même que le "questionnaire auto-administré"
, soit la totalité des sondages politiques de la rentrée, favorise les réponses de droite extrême, à la différence du sondage en face à face (voir notre interview). On ne connaissait pas les cuisines, révélées par Le Monde
, après qu'un de ses journalistes a répondu à la chaîne, sous plusieurs pseudonymes, à des dizaines de questionnaires. Cela n'a nullement ralenti la consommation de sondages.
Seule lueur d'espoir, la confiance dans les sondages est en baisse, apprend-on sur CB News
. Seuls 45% des Français se déclarent confiants, contre 55% de méfiants (32% l'an dernier). Dans le Huff Post
, on apprend logiquement que 71% des sondés estiment que les sondages n'influencent pas leur vote. L'arme fatale contre les sondages sera-t-elle forgée par les sondeurs eux-mêmes, comme les capitalistes vendant, selon Lénine, la corde pour les pendre ? À moins qu'un prochain sondage sonde les sondés sur leur confiance dans les sondages sur les sondages.
Notre émission de cette semaine sera justement consacrée aux sondages. En ligne vendredi.