Et entre les deux tours roule le Kiev Express

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 110 commentaires

Reconnaissez mes facultés divinatoires : "Un jour, une image", vous annonçais-je hier,  devant le tarmac de Macron en partance pour la Roumanie et la Moldavie. Et hop, voici l'image du matin. Un train, façon Far-West ou Orient Express, roule vers Kiev dans la nuit. À bord, en bras de chemise, l'Italien Mario Draghi, l'Allemand Olaf Scholz, et au milieu, chemise blanche à la BHL, notre Macron à nous. Et voici enfin LE geste symbolique que l'on pouvait reprocher au président de ne pas avoir trouvé depuis l'invasion russe. Et non seulement le geste est plein de panache, mais il témoigne, comme le souligne sur BFMTV Ulysse Gosset embarqué dans le train, d'un indéniable courage ("un officier nous a dit : «S'il y a un tir d'obus, restez calmes, suivez les consignes, prenez votre gilet pare-balles»").

On peut faire de cette image la lecture qu'en font Gosset, ou bien son confrère l'éditorialiste diplomatique Pierre Haski, sur France Inter : les dirigeants des trois principales économies européennes rompant enfin avec leurs atermoiements pour apporter un soutien décisif et historique à l'Ukraine agressée, à quelques jours de l'examen de la demande ukrainienne d'adhésion à l'Union européenne. On peut totalement oublier (comme Gosset et Haski) de rappeler que ce geste historique, par le plus grand des hasards, prend place entre les deux tours d'une législative délicate pour la majorité macroniste, alors que le soutien à l'Ukraine est une question sensible pour cette petite moitié des Français qui va encore voter.

Mais on peut aussi, au risque d'être traité d'extrémiste-anarchiste-bolchévique, se souvenir d'une autre image-choc : François Mitterrand, en 1992, se posant à Sarajevo, alors assiégée par les Serbes. Là aussi, contexte électoral délicat : alors que les Français devaient ratifier à l'automne suivant le traité de Maastricht, il était difficile pour l'Europe de rester indifférente au sort des assiégés. Là aussi, l'image avait pour fonction d'occulter les balancements français entre agresseurs serbes et agressés bosniaques. Commandée par des officiers français, la Forpronu avait alors pris soin de ne jamais entrer en confrontation avec les assiégeants serbes. Permanence des images kouchnéro-béachéliennes, qui masquent la froide réalité de la géopolitique.


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