Elkabbach, son micro et son casque
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 128 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
On a beau avoir vu ce qu'on a vu, entendu ce qu'on a entendu
, il vous reste toujours un fond de naïveté. Par exemple, quand au cours du week-end, on a vu la préfecture de police de Paris utiliser une loi anti-terroriste pour interdire de manif des opposants à une réforme du code du travail ; quand on a vu cette même préfecture de police de Paris, appuyée sur cette même loi anti-terroriste, prétendre interdire de manif un photojournaliste, avant de faire marche arrière ; et quand le lendemain matin, le chef de l'Etat est invité une heure sur une radio, on imagine que la première question va porter sur le sujet, sur les interdictions de manif de militants politiques présumés, qui n'ont pourtant rien à voir avec les mitrailleurs du Bataclan et des terrasses de café.
On a beau savoir que la radio en question s'appelle Europe 1 ; qu'elle appartient à Lagardère ; qu'on est en Ve République ; on se dit que c'est l'actualité de la veille, que même les JT ont consacré des sujets à ces interdictions de manifs, et que les matinales radios n'aiment rien tant que rebondir en priorité sur l'actu bien chaude, celle de la veille, celle de la nuit. Qu'ils vont poser la question pour la forme, pour pouvoir dire qu'ils l'ont posée, mais vont la poser tout de même. Eh bien non. La première demi-heure est consacrée "aux questions économiques". Entendez : à harceler Hollande pour savoir s'il va baisser les impôts des entreprises, et multiplier les exonérations de l'ISF.
Arrive enfin, avec Elkabbach, la seconde demi-heure, réservée aux "questions politiques". Enfin la question va être posée. Mais non. A propos des manifs anti-loi travail, Elkabbach n'a entendu qu'un cri : "ça suffit". Le cri des commerçants et des riverains nantais ou rennais, qui protestent contre la casse des vitrines, cri amplement répercuté par les télés et les radios, au premier rang desquelles Europe 1 elle-même. "Vous l'avez entendu, ce cri, Monsieur le président ?" Et il faut que ce soit Hollande lui-même, qui rappelle la mort de Rémi Fraisse, et la perte d'un oeil d'un étudiant rennais. Entre Elkabbach et Hollande, c'est le premier qui porte le mieux le casque de CRS.
Méfions-nous des grands mots. Mais comment qualifier un régime qui, à l'Assemblée, fait passer sans débat une telle loi ? Comment qualifier un régime qui, prétextant le terrorisme, interdit de manifester contre cette loi ? Comment s'appelle un régime dans lequel le chef de l'Etat peut être confronté une heure à des journalistes professionnels, titulaires d'une carte de presse, sans même que cette question lui soit posée ?