Dussopt : affronts, excuses, et contextes

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 126 commentaires

Et traître à ses convictions, on a encore le droit ? Et félon à son camp, on a encore le droit ? Et menteur, multi-menteur, sur l'affaire de la promesse de la retraite minimale à 1 200 euros, on a encore le droit ? On a le droit, Monsieur le président Chassaigne, Monsieur le président Faure, Madame la présidente Le Pen, Madame la présidente Bergé ?  À regarder l'Insoumis Aurélien Saintoul acculé à de plates excuses au ministre Dussopt, pour l'avoir traité d'"imposteur" et d'"assassin", la question se posait des limites du combat politique,  à l'Assemblée. Et pas n'importe quelles excuses. "Des excuses, point barre", comme l'avait exigé la cheffe des députés macronistes, Aurore Bergé, sitôt après l'affront.

Donc, le ministre du Travail n'a pas de sang sur ses blanches mains, que cela soit dit. Donc, il est juridiquement faux de le traiter d'assassin, que cela soit dit. Donc, c'est indélicat, c'est violent, c'est même insultant, et cela exige des excuses, que cela soit dit, et les excuses offertes dans l'hémicycle, dans un silence de cathédrale. Mais pourquoi Saintoul a-t-il ainsi insulté Dussopt ? Non pas sur le motif de la réforme des retraites. Mais sur la suppression des CHSCT (Comités d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail) dans les entreprises. Vous vous souvenez ? C'est une réforme Macron de 2017, par ordonnances. Or il se trouve que dans la même période, les dix dernières années, le nombre de morts au travail a augmenté en France. Dans les secondes précédant l'insulte fatale, Dussopt venait d'affirmer que ce nombre était "relativement stable" et Saintoul, en réponse, venait d'égrener les chiffres de l'augmentation.

Soit dit en passant, Olivier Dussopt, qui n'a pas de sang sur les mains, qu'on se le dise, vient tout de même, avec les mêmes mains, de signer la dissolution d'un "comité d'évaluation", chargé justement d'évaluer cinq ans plus tard les conséquences de la suppression des CHSCT. Ce comité venait de conclure que cette suppression de 2017 n'avait – ô surprise – pas amélioré le dialogue social dans les entreprises. Je tire cette information du site de la CGT. Parmi les dizaines de bavards aphatiques et aphatisants des chaînes d'info qui, dès hier soir, ont condamné Saintoul, combien ont rappelé ce contexte de l'insulte fatale ?

Rien ne permet de corréler cette augmentation du nombre de morts au travail à la suppression des CHSCT, que cela soit encore dit. C'est peut-être la faute aux canicules, ou aux orages de grêle. Mais est-il interdit de rappeler la coïncidence ? Cela outrepasse-t-il les limites du "débat politique", comme on dit poliment, quand on n'a pas envie de se souvenir que ce débat est aussi, légitimement, un combat ?

À propos de la différence entre violences verbales visibles et violences sociales invisibles, médiatisées ou souterraines, puisque c'est de cela qu'il s'agit, un mot encore sur le carton jaune décerné à l'Insoumis Thomas Portes, après la faute du même Dussopt (rattrapage factuel ici, et sur le mode blague ici). Comme le fait remarquer mon confrère Sylvain Ernault, l'offense faite à l'effigie ballonnesque de Dussopt l'a été à l'occasion d'un rassemblement d'inspecteurs du travail, devant leur ministère. Ils voulaient protester contre la passoire baptisée "index senior" (l'autre arnaque du projet, avec les 1 200 euros), et censée obliger les entreprises, sans aucune contrainte, à publier leur taux d'emploi des "seniors" (leur communiqué ici). Vous l'avez vu, lu ou entendu ailleurs, dans la presse arbitre de la politesse du débat ?

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