Dupond-Moretti : derrière ses coups de gueule

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 63 commentaires

Un gouvernement "vu à la télé !" proclamait hier soir le bandeau de BFM, sans qu'on comprenne bien si c'était un cri de triomphe ou de déploration. C'est en effet le seul point commun des deux seules nominations badaboum du gouvernement Castex. Roselyne Bachelot à la Culture (avec beaucoup de bonne volonté, on peut imaginer que l'ancienne ministre de la Santé, sanctifiée par la pandémie, ait pour mission de faire rouvrir les salles de spectacle dans des conditions sanitaires acceptables), et Eric Dupond-Moretti à la Justice.  Comme si le coup de gueule de chaîne d'info était devenu le modèle unique du débat public. Pourquoi d'ailleurs s'arrêter là ? Pourquoi pas Praud à l'Intérieur, Goupil à l'Éducation, Elisabeth Lévy aux Droits de la femme ? De l'audace ! Encore de l'audace !

Mais derrière les coups de gueule sans lendemain, le tonitruant avocat a (si si !) une pensée sur la Justice. Il veut "qu'on sépare le siège du parquet. Je fais le ménage là-dedans, de façon très très très claire" répondait-il à Pujadas qui lui demandait - quelle prescience ! On dirait que Macron et Pujadas pensent avec le même cerveau- quelles seraient ses premières actions de ministre. 

Même si les chaînes d'info n'ont évidemment pas insisté, cette obsession l'habite depuis longtemps (depuis le naufrage judiciaire d'Outreau, en 2006, une de ses expériences fondatrices). Il faut lire à cet égard sa récente interview au Parisien, à l'occasion de sa plainte contre X. Ouvrons la parenthèse : Dupond-Moretti avait déposé une plainte contre X, après avoir appris dans Le Point que ses relevés téléphoniques avaient été épluchés. Le parquet national financier avait en effet entrepris une enquête herculéenne, avec grande moisson de fadettes d'avocats, pour comprendre comment Thierry Herzog, l'avocat de Sarkozy, avait appris qu'il était écouté dans l'affaire Bismuth. Vous suivez ? Dans le cadre de cette enquête menée par le PNF, les policiers écoutaient d'ailleurs aussi... des magistrats du PNF. Vous suivez toujours ? L'histoire ne dit pas si écoutants et écoutés étaient les mêmes magistrats du PNF, ce PNF dont on a appris, à l'occasion de la commission Bernalicis (voir notre émission), qu'on s'y détestait cordialement d'un bureau l'autre. Bref, Moretti ministre vient de retirer la plainte déposée par Dupond avocat. Fin de la parenthèse.

Donc, voici en substance la pensée EDM : les juges, depuis les années 80, sont devenus à la fois trop indépendants, et trop dépendants idéologiquement d' "une short list" de journalistes (suivez son regard du côté de Mediapart, qui lui rend bien son hostilité). Il faut donc dissocier les juges du siège (indépendants / dépendants de Mediapart) et les procureurs (soumis au gouvernement). Et rapprocher ainsi mécaniquement les juges du siège des avocats, dont le nouveau ministre déplore "qu'ils n'aient même plus de parking commun" dans les palais de justice.  Comment ? Rien de plus simple : on casse l'École nationale de la magistrature, et on "crée une école nationale de Justice commune aux avocats et aux magistrats"Ainsi, les procureurs pourraient, à la satisfaction générale - et contrairement à la préconisation de tous ceux qui réfléchissent aux défauts de la justice française - rester soumis au pouvoir politique, pris en tenaille qu'ils seraient entre l'avocat et le "vrai juge" désormais indépendant. CQFD.  Macron et Castex n'ont hélas pas précisé si cette réforme disruptive constitue la feuille de route du nouveau ministre. On attend.


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