Affaire Fillon : "La première magistrate à parler sans ambages"

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Énorme émotion politique et médiatique : et si l'élection présidentielle avait été confisquée par le parquet national financier, en charge de l'enquête sur les emplois fictifs de Penelope Fillon, parquet qui aurait été soumis à de fortes pressions pour mettre en examen le candidat de la droite ? Cette émotion est générée par des déclarations de l'ancienne cheffe du PNF Eliane Houlette devant une commission parlementaire. Pour en parler, le président de cette commission, député Insoumis du Nord, Ugo Bernalicis ; et Pierre Januel, journaliste couvrant la commission pour le site de l'éditeur Dalloz, ancien collaborateur parlementaire EELV et ancien porte-parole du ministère de la Justice sous Jean-Jacques Urvoas. Et notre chroniqueuse linguiste Laélia Véron.

Houlette, "le premier témoignage sans ambages"

Au cours d'une audition le 10 juin dernier, l'ancienne cheffe du PNF Eliane Houlette évoque"la pression du parquet général", "les demandes de transmission rapide des éléments" lors de son enquête sur l'affaire Fillon en 2017. Témoignage qui, après être passé quelques jours inaperçu, a fait le tour des médias. "C'est le premier témoignage d'une magistrate où j'ai l'impression qu'on me dit les choses telles quelles, sans ambages, sans faire de détour", explique Ugo Bernalicis.

C'est Le Point qui publie le premier ces propos, le 17 juin, une semaine plus tard. Le compte-rendu de l'audition, qui aurait dû être publié comme les autres, a connu un bug sur le site de l'Assemblée : il n'a pas été publié. C'est ensuite le site de Dalloz qui retranscrit intégralement l'audition d'Houlette. "On commençait à voir dans les médias un peu n'importe quoi sur ce qu'elle avait dit", explique Januel. "Elle se plaint beaucoup des rapports avec sa supérieure hiérarchique [Catherine Melet-Champrenault, procureure générale, ndlr] mais elle ne se plaint pas dans son audition de pression de l'exécutif", tient à insister le journaliste. A l'inverse, elle est "très claire sur le fait que l'exécutif ne lui a pas demandé quoi que ce soit"

Comment expliquer ce délai ? "Tout le monde se moque des travaux parlementaires", résume Januel, parce que ces travaux sont "quelque chose d'extrêmement technique, d'extrêmement long". "Allez dans la tribune de presse, elle est toujours libre"Pour Januel, la commission révèle les tensions des magistrats au sein de leur hiérarchie - une hiérarchie qui pourrait être soumise à pression de l'exécutif ? "Ça fait partie des questions légitimes", abonde Bernalicis. L'article du Point est-il "accablant pour la justice" ? Januel rappelle qu'il y a "des choses qui ont été dites pendant le procès Fillon qui se rapprochent de ce qui a été dit par Houlette"

"On a l'impression qu'il y a des secrets de polichinelle"

La procureure générale Champrenault, elle, a été auditionnée ce 2 juillet 2020. Pour Bernalicis, la problématique principale tourne autour des "notes de synthèses détaillées sur l'affaire Fillon qui remontent à la direction des affaires criminelles et des grâces et donc potentiellement derrière au cabinet du ministère". On demande à Houlette de "faire remonter des synthèses", chose habituelle "sauf que le parquet général en redemande", exigeant davantage d'informations. Pour Bernalicis, un harcèlement qui n'était pas "légitime". "Il est légal mais pas normal."

A l'époque, Januel est porte-parole du ministère. A-t-il eu affaire aux journalistes pendant l'affaire Fillon ? "Assez peu. Ils savent que le porte-parole du ministère n'a pas les informations et n'est pas habilité à parler d'enquêtes en cours. Moi, je n'ai pas plus que ce qu'il y a dans le Canard Enchaîné et dans la presse". Interrogé par la commission, Urvoas a lui-même déclaré qu'il n'avait que peu de remontées d'informations à l'époque.

Bernalicis n'est pas convaincu. "Le problème c'est qu'il nous manque des éléments dans les étapes" de remontées d'informations. L'information va du PNF au parquet général, puis à la direction des affaires criminelles et des grâces, qui dépend du ministère. "La question c'est : qu'est-ce qui est filtré dans les éléments remontés de la direction des affaires criminelles et des grâces au ministre ?" Le député rappelle qu'il est prévu que certaines informations soient filtrées avant d'arriver au ministre. "N'étant pas magistrat", rappelle Januel, il n'a par exemple jamais eu accès à ces remontées. La question se pose d'autant plus qu'on sait qu'Urvoas a averti un député LREM, Thierry Solère, des charges qui pesaient contre lui et des éléments contre lui - ce qui a valu à l'ancien ministre une condamnation pour "violation du secret". 

Bernalicis s'interroge sur le fait même de demander une remontée d'informations lorsqu'une affaire est par exemple évoquée dans la presse : "Le fait même de demander des infos, s'il n'y a [pas d'enquête en cours], ça met une lumière sur une thématique" et donc peut pousser à l'ouverture d'une enquête. "Il y a des procureurs qui ne font pas remonter grand-chose, qui refusent de faire remonter des informations", rappelle le député.

La commission ne révèle "rien d'illégal"

Après la médiatisation des propos de Houlette, Jean-Luc Mélenchon réagit très rapidement, dénonce la confusion des pouvoirs et une "opération politique" à son encontre lors des perquisitions menées en 2019 dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris.

"C'est totalement manipulatoire de dire ça", réagit aussitôt Januel. "Ni Eliane Houlette ni Catherine Champrenault ne disent qu'il y a une intrigue politique dans l'audition [...] personne ne dit «c'est le ministre qui me l'a demandé»". De son côté, Bernalicis s'interroge : "Je ne dis pas que la justice a intrigué contre Mélenchon, je dis juste que certaines personnes aux bonnes responsabilités peuvent prendre des décisions lourdes de conséquences".  Se défendant d'avoir voulu exercer des "représailles" après les perquisitions, il rappelle : "Quand on crée cette commission, il y a un lien direct avec nos perquisitions parce qu'elles ont mis un projecteur sur la question de la justice et du fonctionnement de la justice". Après les différentes auditions, le député se dit "capable de prouver" que des remontées jusqu'au ministère peuvent de fait avoir lieu. "Ce que je ne suis pas capable de prouver, c'est si ça a été le cas formellement." Le journaliste de Dalloz trouve de son côté que l'audition de Houlette a été surinterprétée.

Au cours de la commission, Bernalicis est amené à poser des questions concernant l'enquête en cours visant la France insoumise. Ce qui crée des tensions avec son rapporteur Didier Paris (LREM). Le député insoumis se voit reprocher des questions "discourtoises". "Je ne fais pas mon marché pour régler les comptes de la France insoumise, je fais mon marché parce qu'on parle de cas concrets pour essayer de comprendre : Fillon, [Alexis] Kohler...", rétorque le député. Pour Januel, l'intérêt de la commission est qu'elle "met en lumière des choses que l'on n'entend pas souvent""Ça révèle des problèmes de fonctionnement : le poids du parquet", notamment. Lui a été surpris par ce qu'il a appris sur "les auditions au ministère de l'Intérieur, les remontées au ministère de l'Intérieur" : "On a l'impression que les policiers et les gendarmes font remonter plus de choses que la justice". Pour Januel, la commission "ne montre rien d'illégal et ne montre pas un système où on aurait des pressions politiques qui feraient qu'il déciderait des enquêtes judiciaires dans ce pays".

Pas de "circuits de fuites" vers les journalistes

Au cours d'auditions, le député FI a posé la question aux journalistes spécialisés sur leurs sources, notamment à Marine Babonneau, rédactrice en chef de Dalloz. Pourquoi poser cette question ? "Parce que parmi les fantasmes, il y a aussi de se dire ce sont les policiers qui font tout fuiter, ce sont les magistrats qui font tout fuiter""Il y a des principes fondamentaux qui s'entrechoquent : le principe du secret de l'instruction se confronte à la protection des sources". Le député se dit "rassuré" d'avoir appris qu'il n'y avait pas de "circuits de fuites", de "clans" qui feraient toujours fuiter les informations et que "les sources sont multiples".

Faut-il poser le principe d'une trêve des procédures pénales pendant les élections ? La question a été posée en commission d'enquête, notamment au ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner. "A la fin du processus, je me dis que ce n'est pas du tout une bonne idée de profiter d'une trêve", notamment pour l'élection présidentielle, conclut Bernalicis.

Le député du Nord est également actif sur la plateforme Twitch, en tant que joueur. "L'objectif était de toucher un autre public". Il compte d'ailleurs débriefer dans les prochains jours la commission d'enquête.

On termine par la chronique de Laélia Véron qui se penche sur une opposition entre un discours très précis, très technique et un discours très imagé ("représailles", "secret de Polichinelle"). Pour la chroniqueuse "l'un favorise l'autre", le discours imagé pouvant rendre accessible un discours très technique parfois obscur.

Pour regarder les deux auditions de Champrenault dont il a été question à la fin de l'émission (les 6 février et 2 juillet 2020), c'est ici et .

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