Donbass : une "reporter de terrain" chez Pascal Praud
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 152 commentaires
"Regardez cette institutrice, vous la voyez, là, coupée en deux ? Ça c'est les forces ukrainiennes"
, intime Anne-Laure Bonnel à BHL. Elle intervient en visio dans L'heure des pros
, de CNews. Elle montre, sur son smartphone, des images que le téléspectateur peine à distinguer, mais qu'elle nous décrit comme "une institutrice coupée en deux"
. Elle a déboulé le 1er mars dans l'émission de Pascal Praud, qui ne l'a pas présentée autrement que comme "reporter de guerre, actuellement dans le Donbass"
. En visio, donc, depuis le Donbass, elle se décrit comme sans message politique autre que "d'avoir le courage de dire les choses". "Je n'ai aucun message politique. Je ne défends pas Poutine. Je suis au plus près des civils."
Praud : "Ce que vous dites est factuel."
Elle fait glisser les images de son smartphone, le place bien devant la webcam de son ordinateur. "Je continue, parce que vous allez voir ce que c'est la guerre. Ca c'est les abris, ça date d'hier. Regardez !" "J'étais dans le Donbass…"
tente BHL, qui semble découvrir l'existence de la jeune femme. "Non non, vous n'avez pas été là où je suis. Ne me coupez pas. Regardez cette mamie, là"
(On voit une Mamie). D'émotion, elle lâche son smartphone. Le reprend. Montre un corps ensanglanté allongé sur le sol. "Parce qu'à un moment donné, il faut avoir le courage de dire les choses."
"L'aviation ukrainienne a pilonné le Donbass en 2014"
, assure Bonnel, qui travaille sur le terrain depuis 2015, et y a réalisé un film, Donbass
, faisant allusion à un bombardement en juillet 2014, en riposte à des tirs de missiles. Dans les minutes qui suivent son intervention, Bonnel se hisse en "tendance" sur Twitter, réveillant en sursaut toute la poutinosphère sur le mode "les vérités qu'on nous cache"
.
Après 48 heures de sidération, prenant la mesure du buzz, le correspondant du Monde
à Moscou, Benoît Vitkine, publie ce matin un "thread". "
Euh les gens, ce n'est pas parce que Pascal Praud ne connaît pas qqch que c'est un scoop
, commence-t-il.
Évidemment qu'il y a une guerre dans le Donbass depuis 8 ans, elle est plutôt bien documentée. Ceux qui la découvrent seulement aujourd'hui ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes.
" Et de poursuivre : "I
l y a des bombardements des deux côtés. Les civils souffrent et meurent des deux côtés. Probablement un peu plus coté séparatiste, plus urbanisé. On en parle moins en ce moment parce qu'une guerre d'une toute
autre ampleur a été déclenchée, le focus a changé. Le Donbass est d'ailleurs l'un des fronts de cette guerre. Les Ukrainiens y sont bien fortifiés + ils attendaient l'offensive à cet endroit, donc globalement ils tiennent, surtout du côté de Donetsk. Et ils tirent au canon (entre autres) sur ceux d'en face. Probablement de manière indiscriminée parce qu'ils l'ont mauvaise de savoir leur capitale attaquée…
Je ne sais pas je n'y suis pas : contrairement à AL Bonnel la plupart des journalistes ne peuvent plus travailler à Donetsk."
Qui est Anne-Laure Bonnel ? Si son activité a étrangement échappé à la petite communauté des reporters et universitaires qui couvrent depuis 2014 les républiques séparatistes du Donbass, elle a néanmoins laissé quelques traces en ligne. Anne-Laure Bonnel, qui n'a "aucun message politique"
, a accordé le 7 février un entretien au site Droite de demain. On y apprend notamment qu'elle a dénoncé l'utilisation par l'Azerbaïdjan d'armes non conventionnelles dans le conflit qui l'oppose à l'Arménie, de concert avec le directeur adjoint du Figaro Magazine
Jean-Christophe Buisson. Au Karabakh, elle a réalisé un film, Silence dans le Haut Karabakh
, dont "la sobriété et la singularité esthétique forcent l'admiration"
, écrivait Buisson dans le Figaro Magazine
en avril 2021, regrettant que le film ne soit diffusé que sur la plateforme Spicee, et non sur une chaîne de télévision.
Dans le conflit entre l'Arménie chrétienne et l'Azerbaïdjan musulman, comme entre la Russie et l'Ukraine, comme dans tout conflit, un reporter de terrain a parfaitement le droit de choisir son camp, "ses" souffrances, "ses" morts, en fonction de ses convictions, sa nationalité, sa religion. C'est d'ailleurs ainsi depuis qu'existe le reportage de guerre. Encore faut-il que ce soit présenté ainsi, par exemple sur une chaîne française comme CNews, conventionnée par l'Arcom, ex-CSA.
Mise à jour, 10h20 : Mention du bombardement de l'aviation ukrainienne sur les zones séparatistes en juillet 2014.