Deux thunes dans le bastringue Taubira
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 68 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et c'est reparti. Les semaines se suivent, et se ressemblent. C'est France Inter, qui remet dès 8 heures
deux thunes dans le bastringue Taubira, avec une déclaration exclusive de Le Pen (Jean-Marie). "Elle n'a certainement pas été choisie à cause de son patriotisme, elle est anti-française. Parce qu'elle était indépendantiste, elle voulait chasser la France de la Guyane. Ce ne sont pas non plus ses talents de juriste qui l'ont fait désigner. Je pense qu'elle a été choisie parce qu'on pensait que sa couleur pourrait lui servir de bouclier quand elle aurait à proposer des choses absolument inacceptables. Ça n'est pas la première fois que c'est fait dans la politique française". Le Pen (Jean-Marie) assistait au lancement de la campagne FN pour les municipales. La phrase diffusée par France Inter n'a pas été prononcée à la tribune. C'est la journaliste de France Inter, qui est venue le chercher dans son coin de salle, et a branché le vieillard sur le cas Taubira.
"Attendons maintenant les réactions, qui ne vont pas manquer" conclut, gourmand, le présentateur de France Inter. Oui, attendons donc de pied ferme, micro en main : elle n'est pas mécontente, la radio publique, de créer le buzz du matin, en faisant déraper l'octogénaire Le Pen, qui ne demande que ça. Trente ans que ça marche, trente ans qu'ils se tiennent la main bien serrée, Le Pen et les traqueurs de phrases qui tuent, on ne change pas une recette qui gagne.
Irréprochables, les journalistes d'Inter. Leur reprocherait-on d'alimenter le bastringue, leur réponse, j'imagine, est toute prête : mais enfin, Le Pen (Jean-Marie) est toujours président d'honneur du parti. C'est une personnalité qui compte. En lui donnant la parole de temps en temps, nous déjouons la stratégie de dédiabolisation entreprise par sa fille. Nous grattons le vernis. Nous montrons que le FN n'a pas changé. On fait notre boulot. Etc etc. Tous arguments, par ailleurs, recevables. Ce qui n'empêche qu'on n'a aucune envie de commencer la semaine comme la dernière s'est terminée.
Le feuilleton bananier de Taubira ne sert pas seulement de fumigène pour masquer d'autres questions (comme les opaques négociations transatlantiques sur le libre-échange, voir notre émission de la semaine). Il fait aussi office de fumigène sur la politique effectivement menée par la ministre de la Justice. Pendant qu'ils jettent des bananes à leurs lecteurs, les medias évitent par exemple de mentionner les sévères critiques adressées à Taubira par le principal syndicat de magistrats, et notammment sur sa frilosité sur la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ils évitent même de donner trop d'écho au nouveau buzz anti-Taubira qui enfle sur la twittosphère : la ministre interdirait qu'on géolocalise les trafiquants de drogue. Sur cette dernière impasse, rassurons-nous : ce n'est certainement que partie remise. Si vous voulez prendre de l'avance, et tout savoir sur la circulaire de la chancellerie, interdisant aux parquets de faire placer des balises sous les voitures des trafiquants de drogue, conformément à un arrêt de la Cour de cassation, anticipez : tout est très bien expliqué ici.