Deux "insulteurs" du Point devant le tribunal de Nanterre

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 70 commentaires

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Autant l'avouer : je n'ai rien vu des developpements d'hier du Fillongate.

Avec Alain Korkos, nous avons passé toute l'après-midi au Palais de Justice de Nanterre. Nous étions poursuivis par Le Point, pour injures publiques, pour cette chronique, et pour le tweet l'annonçant. Je vous l'avais raconté ici. Le même Point qui n'a de cesse de prôner le cassage de tabous, la fin du politiquement correct, qui n'en finit pas de donner ses Unes aux Finkielkraut et autres Onfray au nom du droit inaliénable au politiquement incorrect, ce même Point envoyait des lettres recommandées aux confrères, demandant le retrait de la chronique citée, la publication d'un rectificatif, et un euro de dommages et intérêts. Arrivés à 13 h 30, nous en sommes ressortis à 20 heures (notre affaire étant passée la dernière), ce qui nous a laissé le temps de déployer notre virtuosité en selfies.

Le Point est dirigé par un nommé Etienne Gernelle, qui s'est donc senti "insulté" par cette chronique.Tout de même pas insulté jusqu'à venir jusque devant le Tribunal de Nanterre, regarder ses insulteurs dans les yeux, et s'expliquer avec eux. Il avait piscine bouclage, a expliqué son avocat. Soit. On s'est donc expliqués devant le tribunal seul. Je ne vous raconte pas l'audience, elle est fort bien résumée par une dépêche AFP, notamment reproduite ici.

Cette chronique, s'il fallait la re-publier, je la re-publierais dix fois. Elle ne signifie évidemment pas que nous assimilons Le Point à Je suis partout. Elle allume simplement un clignotant. Le témoin unique que nous avions cité, le sociologue Marwan Mohammed , auteur notamment d'un ouvrage sur la fabrication par les élites du "problème musulman", (à ne pas confondre avec son quasi-homonyme fondateur du CCIF), a très bien dit comment du titre "Les juifs" au titre " Les Arabes", le procédé d'essentialisation est le même. Et comment une même essentialisation conduit mécaniquement au même racisme, et éventuellement aux mêmes conséquences. Certes, "les époques sont différentes". Certes, comme il a été répété dix fois, "on n'est pas dans les années trente". Mais au fond, qu'en sait-on, si nous ne sommes pas dans les années trente ? Qui sait de quoi seront faites les années 2020 ? Qui sait de quels bateaux, de quels avions, de quels camps ? Alors oui, comme l'ont répété Marwan Mohammed et notre avocat Pascal Winter, il faut alerter. Ne pas se laisser hypnotiser par l'Histoire, mais ne surtout pas la laisser se perdre dans l'oubli. Alerter. Allumer des clignotants. Dire "tiens, ça me rappelle". Rien de plus que "tiens, ça me rappelle". Ne pas taire, surtout, pas, ces reminiscences en soi, comme l'a rappelé Alain avec émotion.

La comparaison de cette couverture du Point avec celle de Je suis partout, est--elle insultante ? Le droit, en la matière, est apparemment d'un faible secours, comme en témoigne le réquisitoire balancé du procureur Lionel Bounan, qui, répétant à plusieurs reprises son attachement à la liberté d'expression, a admis qu'il ne savait pas, et n'a donc rien requis. Jugement le 7 mars.

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