Démocratie : la solution Cagé

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 133 commentaires

La caractéristique des insurrections, c'est que les voix raisonnables, rationnelles, y sont étouffées. Etouffées par les hurlements de la foule et, dans notre cher système médiatique, par cette caisse de résonance de la foule, que sont les télés d'info continue, et les réseaux sociaux. Autant dire que dans l'ambiance actuelle, Julia Cagé n'a que peu de chances d'être entendue. Après avoir tenté pendant des années , sans grand succès, de sauver la presse de ses prédateurs bolloroïdes (voir notre émission ici), Julia Cagé a publié, en septembre dernier, un livre pénétrant sur Le prix de la démocratie. Pénétrant, mais qui n'a que le tort d'avoir été publié quelques semaines trop tôt. Ah, si Fayard avait pu prévoir...

En substance, Julia Cagé y démontre que le système français de financement des partis bénéficie essentiellement aux partis qui défendent les intérêts des classes supérieures. Jusqu'ici, rien de bouleversant. Cette nature ploutocratique du système politique français, brutalement révélée par le mouvement des Gilets jaunes, une élémentaire lucidité permettait de la constater, disons depuis le "tournant de la rigueur" de Mitterrand en 1983, ce qui fait un bail. Mais le constat est ici étayé.

Mais elle ne s'en tient pas là. Car Julia Cagé est un esprit constructif. Aussi a-t-elle cherché (et trouvé) une solution. En substance, que chaque contribuable, au moment de remplir sa déclaration d'impôts, ait la possibilité d'attribuer une somme modique (elle verse au débat le montant de 7 euros) au mouvement politique de son choix, y compris un mouvement nouvellement créé, n'ayant pas encore d'élu, ni national, ni local. Une seule condition, dans son esprit, pour être éligible à ces "bons pour l'égalité démocratique" : susciter les contributions d'au moins 1% des citoyens, soit environ 520 000 contributions. Pour plus de détails pratiques (car elle a pensé, sinon à tout, du moins à beaucoup de choses) se reporter à son livre.

J'ai beau tourner et retourner cette idée dans tous les sens, je ne parviens à y voir que des avantages. Il me semble évident que, jointe à l'introduction de la proportionnelle, elle permettrait à un ou plusieurs partis gilets jaunes d'être rapidement représentés au parlement, à la mesure de leur influence réelle. Pour autant, il n'est pas du tout évident qu'elle s'impose, ni même qu'elle soit discutée. C'est même le contraire qui est le plus probable. Et jusqu'à présent, depuis le début du mouvement, seule une émission de Mediapart, la semaine dernière, y a fait écho.

Il est évident que ce système reste dans le cadre de cette "démocratie représentative", aujourd'hui vomie par les penseurs qui inspirent les Gilets jaunes, et pour qui tout représentant élu est une crapule en puissance, à qui il faudra un jour faire "rendre des comptes". Symétriquement, il est si périlleux pour les partis ploutocrates, qu'ils feront tout pour l'évacuer. La solution Cagé permettrait pourtant, non pas de rendre la démocratie représentative parfaitement représentative -ne rêvons pas- mais mieux représentative. Elle instaure un référendum révocatoire en douceur. Tu m'as déçu ? Je te retire mon financement. Elle esquisse une voie de sortie de crise "par le haut", sans voitures brûlées, sans éborgnages supplémentaires. Ni les partis de pouvoir, ni la fan base de Maxime Nicolle et d'Eric Drouet n'en voudront, pour des raisons opposées. Ce n'est pas à mes yeux une raison, au contraire, pour ne pas la mettre en débat.

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