Déconcentrations et reconcentrations

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Le matinaute - 235 commentaires

Pendant que frappe la deuxième vague du COVID-19, pendant que sombre la démocratie américaine dans les insultes d'un débat présidentiel, la France envoie périodiquement à l'univers des preuves de vie, montrant qu'elle reste la France : le débat sur l'habillement des lycéennes.

Dans leur nouvelle production, Natacha Polony, directrice de Marianne, et l'IFOP, demandent aux sondé.e.s ce que les lycéennes devaient être autorisées à porter dans les lycées publics (Libénous apprend ce matin que l'IFOP a lancé ce sondage sans commanditaire, avant de le proposer à plusieurs médias -Libé compris- qui l'ont tous refusé, sauf Marianne).

Evidemment, ce qui frappe, ce sont surtout les images explicatives. L'IFOP  a eu  besoin de faire visualiser aux sondé.e.s la pointe des tétons, et l'échancrure des seins du décolleté, des vêtures sur la sellette. A la manière des curés du XIXe siècle, se plongeant avec horreur dans les objets du délit, au risque de l'apoplexie.

Heureusement, comme à son habitude, Twitter n'a pas tardé à répliquer.

S'il apparaît urgent de réglementer l'exhibition du nombril et des tétons des lycéennes, c'est évidemment du fait du risque de "déconcentration" des hommes, comme l'avouait benoîtement l'un d'entre eux, Alain Finkielkraut qui, depuis cette rentrée, donne chaque semaine sur LCI son "regard sur le monde".

À noter que ce sont souvent les mêmes hommes qui préconisent le dévoilement du visage des femmes dans l'espace public, et le voilement de leur nombril. L'homme a besoin de voir le visage de la femme dans la rue, pour se faire confirmer qu'il a le droit de l'embrasser s'il le désire, qu'elle est disponible. Mais pas son nombril qui, à la différence du visage, le "déconcentre". Ce que nous dit Finkielkraut, c'est qu'il assume une libido de gorille, sur laquelle il n'a aucune prise, et que c'est donc aux objets de cette libido, les femmes, de s'y adapter.

Sur les réseaux sociaux, Finkielkraut s'est vu reprocher cette libido de gorille, sur le thème "pouah, quel vieux vicieux !". A tort, si je peux me permettre. Il y a du primate en chacun de nous, quel que soit notre âge et notre sexe. En confidence (que cela ne sorte pas d'ici) il m'arrive aussi d'être occasionnellement déconcentré par la vision d'un nombril ou d'un décolleté. Mais, d'un déconcentré à l'autre, cher Finkielkraut, il m'appartient, et à moi seul, de régler le problème de cette déconcentration, et de retrouver les voies d'une saine reconcentration, sans forcément aller en faire état sur LCI.  Certains appellent cela la civilisation.


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