Débats d'idées par temps de brouillard
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 72 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Une tribune sur le site du
Monde, et un invité chez Taddeï. Deux sujets traités hier sur le site. Signée d'un étudiant en droit et en économie, la tribune du Monde dédramatisait la perspective d'une sortie de l'euro. Elle répétait beaucoup de choses que nous avons écrites dans nos articles, et qui ont été répétées sur le plateau de nos émissions (dossier complet ici). L'invité de chez Taddei était libraire. Il avait apposé une affiche sur la devanture de sa librairie, expliquant qu'il ne vendrait pas le livre de Valérie Trierweiler. On pouvait se sentir parfaitement en accord avec ce qu'il expliquait sur le plateau.
Seulement voilà. L'auteur de la tribune, que le site du Monde présentait sans plus de précisions comme étudiant, était en réalité trésorier du "collectif Marianne", un mouvement d'étudiants proche du Rassemblement Bleu Marine de Marine Le Pen. Ce que Le Monde a aussitôt ajouté, dès qu'ils ont été avertis par la parution de notre article. Quant au libraire, Xavier de Marchis, il nourrit une particulière affection pour le polémiste antisémite Alain Soral, qu'il a par deux fois invité à dédicacer ses ouvrages, ainsi que pour une kyrielle d'auteurs d'extrême-droite. Ce qui est évidemment parfaitement son droit. Mais que les télespectateurs de Taddeï auraient eu aussi le droit de savoir.
Les journalistes du site du Monde, et Frédéric Taddeï, ont plaidé qu'ils ne connaissaient pas le pedigree de l'étudiant, et du libraire. Et nous nous sommes fait reprocher par certains, dans les forums et sur Twitter, de dénoncer ainsi un honnête étudiant et un vertueux libraire, au risque de disqualifier leurs thèses et leurs arguments. C'est une vraie question. Faut-il signaler d'où parlent tous les intervenants du débat public ? Oui. Toujours. Autant qu'on le peut. A gauche comme à droite, d'ailleurs. Et d'autant plus que sur de nombreux sujets, les repères se brouillent comme jamais. Pour la fin de l'euro, pour l'agriculture biologique, dans le combat contre la diabolisation dont est victime la Russie en Ukraine, contre le réchauffement climatique, contre les maltraitances animales, ou même contre la corruption journalistique dans les jeux vidéo, (pour ne prendre quelques exemples, on en trouverait plein d'autres), voilà que l'on peut se retrouver au coude à coude avec des compagnons de lutte inattendus, et indésirés. Savoir quelles forces politiques sont reliées, inspirent, nourrissent, exploitent, quelles composantes du débat public, est un élément d'information indispensable dans l'échange d'arguments. Une idée n'est pas une pure essence.
Puisque tout se brouille, n'est-il pas un peu rapide de qualifier le virage du philosophe Michel Onfray de "réac", comme nous l'avons fait dans le titre de notre article ? Non. Sur les études de genre comme sur le contrôle d'Internet, les provocations d'Onfray sont "réac", dans le sens où elles proposent d'en revenir à un état de choses antérieur, réel ou fantasmé (quand le débat public était limité à un petit nombre de medias institutionnels, ou quand le rôle de l'école était centré sur l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, et du calcul). Pour autant, faut-il fermer ses oreilles à ces arguments ? Non plus. Savoir qui parle, mais écouter tout de même. Le savoir pour mieux écouter. Vaste programme.