Darmanin / Malherbe : sous l'injonction

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 137 commentaires

"Calmez-vous Madame, ça va bien se passer".  "Je vous demande pardon ?" D'une interview, somme toute habituelle, sur les statistiques de la délinquance (délinquance contre les biens, opposée aux violences contre les personnes), personne n'aurait attendu... une telle violence de ton, à caractère évidemment personnel. Il faut dire que les deux protagonistes ne sont pas n'importe qui. L'interviewé est un homme, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. L'intervieweuse est une femme, Apolline de Malherbe (BFMTV). La chaîne a choisi de tweeter l'échange.

Les uns ont salué l'inhabituelle pugnacité (avec un puissant) de l'intervieweuse. Les autres l'ont soupçonnée de s'efforcer de faire du Bourdin, ou pire, de tenter de faire oublier la lamentable interview de Patrick Balkany, où sa connivence avec l'ex-maire fraudeur fiscal a été soulignée par un tutoiement malencontreusement passé à l'antenne. Peu importe. L'échange est suffisamment inhabituel pour que l'on tente de comprendre ce qui s'y joue.

"Ça va bien se passer !" : ce pourrait presque être le mot paternaliste d'un chirurgien à sa patiente, avant une opération. Une interview n'est certes pas une opération, mais l'on peut soutenir qu'elle tient de l'accouchement d'une vérité. Pourtant, ce que souligne d'abord Darmanin avec le "ça va bien se passer", c'est que cette interview ne sera pas une interview. L'intervieweuse n'échangera pas, et prendra encore moins l'initiative des questions. Elle subira le discours ministériel, le déroulé imperturbable des "bonnes" statistiques et des éléments de langage. Tout ce qui lui est demandé, c'est de subir dans le calme.

Car il y a le "calmez-vous, Madame".  Dans un contexte d'échange vif entre un homme et une femme, cet impératif est incontestablement sexiste, soulignant en creux le "calme" masculin, confronté à "l'hystérie" féminine. Darmanin aurait-il osé la même injonction à Jean-Jacques Bourdin ? Le "ça va bien se passer" n'est pas sans rappeler le "que ça te plaise ou non, prends sur toi, ma belle", de Poutine, que je mentionnais hier. Et puis surtout, cet homme s'appelle Gérald Darmanin, qui traîne depuis sa nomination des accusations de viol, de harcèlement sexuel, et d'abus de faiblesse (non-lieu requis dans les premières, classement sans suite dans la seconde). Toute allusion, même indirecte, à la négation du consentement d'une femme dans une relation en tête à tête, fût-elle professionnelle, ne peut pas ne pas faire tinter ces sonores casseroles. Voilà pourquoi cette injonction fait hérisser le poil de nombreuses femmes, et pas seulement elles.

PS : À propos du "que ça te plaise ou non" de Poutine, on lira cette éclairante explication de l'universitaire Anna Colin-Lebedev, qui nous a été signalée dans le forum.


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