Dark net, la mythologie qui vient

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 41 commentaires

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Comment l'appeler ? Deep net ? Dark net ? Internet profond ?

Une chose est sûre, cet "autre" internet, cette zone de non-droit, que dépeignait hier soir Envoyé Spécial dans un reportage saisissant, est appelé à un bel avenir de mythologie terrifiante. Attendez-vous, dans les semaines qui viennent, aux couvertures d'hebdos alarmantes, et aux éloquentes interpellations à l'Assemblée. Sombre, profond : oubliez toutes vos références terrestres, nous sommes ici dans les catacombes, dans les tunnels des conspirateurs, 20 000 lieues sous les mers, dans le monde  du silence de Cousteau.

Comme dans les catacombes, on n'y accède que par un logiciel, Tor, qui permet au visiteur de surfer en toute tranquillité, rigoureusement intraçable, sans laisser nulle part son adresse IP. Comble de la stupéfaction : cet espace "échappe aux moteurs de recherche". Oui, on peut y échapper aux avenues éclairées et balisées par Google, et à la surveillance de tous les inquisiteurs du Web, pour y batifoler dans un labyrinthe de ruelles sombres, coupe-gorge, cour des miracles, où le Bitcoin a supplanté le dollar. Comme dans toute terra incognita digne de ce nom, se côtoient le pire et le meilleur, soigneusement renvoyés dos à dos par l'enquêteur de France 2, dans un balancement fascination-répulsion qui resuscite brutalement les mythologies de l'apparition d'Internet, à la fin du siècle dernier, quand Daniel Bilalian nous terrifiait avec le monstre ambivalent. Les sites de vente d'armes (efficaces : Envoyé Spécial a reçu en quatre jours le P38 commandé) y côtoient les héroïques reporters chargés de couvrir l'Afghanistan. Reporters Sans Frontières organise à Kaboul des stages de formation à Tor pour journalistes. Les amateurs de sites pédophiles y frôleront sans le savoir les résistants à l'espionnage de la NSA. C'est dans ce "Dark net", que se trouve Silk road, ce magasin en ligne de vente de drogues, terrassé par le FBI le mois dernier, et qui vient de renaître de ses ruines.

Vrai ? Faux ? Quelle part de réalité, quelle part de boursouflure journalistique habituelle ? Impossible de le discerner a priori. Les grandes chaînes de télévision, depuis quinze ans, nous ont tellement -et France 2 au premier rang- habitués à la diabolisation d'Internet, ses pédophiles en liberté, ses marchands d'armes, ses garages à bombes artisanales, qu'il est désormais difficile de les croire sur le sujet, même quand par hypothèse elles diraient vrai. Ce qui ouvre un champ prometteur aux enquêtes indépendantes.

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