Contre la presse réac' : agir !
Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Financement des medias - Le matinaute - 182 commentaires
Quel déluge ! Après la diffusion du remarquable numéro de Complément d'enquête
, de France 2, sur le Puy du fou, le parc d'attraction réactionnaire de la famille de Villiers, tous les médias Bolloré se sont levés comme un seul chouan, pour sauver l'honneur de l'institution vendéenne menacée. Entre autres amabilités, le rédacteur en chef de l'émission, Tristan Waleckx, a été traité de "petit lombric"
, sur CNews, par le directeur du magazine l'Incorrect
, l'extrême droite renouant ainsi avec sa grande tradition de l'insulte animalière, notamment mise à l'honneur par Je suis partout
dans les années 1930. Paul Aveline vous le raconte ici. Dans ce concert, le JDD bollorisé a joué son rôle, ignorant même royalement à la Une, dans sa hiérarchie des priorités, le tremblement de terre au Maroc (plus de 2 000 victimes), relégué en page 23. On ne saurait mieux avouer que la presse Bolloré est, avant tout, une machine de guerre.
Face à cette machine, quel rôle peut jouer la presse indépendante et progressiste, la presse qui se revendique de l'héritage des Bleus plutôt que des Blancs, celle qui croit à l'émancipation par le savoir et l'information, celle qui se vit comme un contre-pouvoir véritable aux pouvoirs politique et économique, celle qui est possédée par ses journalistes et seulement par eux, celle que vous lisez ici, à cet instant, en me lisant ? Elle ne va pas bien. Pour ce qui nous concerne, à ASI, Loris Guémart vous l'a détaillé ici. Et même le fleuron de cette nouvelle presse indépendante, sa réussite la plus éclatante, Mediapart, voit pour la première fois de sa courte histoire le nombre de ses abonné·es plafonner depuis deux ans. Le plafond est certes élevé (plus de 200 000 abonné·es), mais c'est un plafond (mise à jour : on me glisse dans l'oreillette que le chiffre exact, à la sortie de l'été, est de 220 000 abonnés, en hausse de 10 000 sur les chiffres de décembre dernier. Dont acte.)
Les raisons en sont multiples. Sans doute pourrions-nous, nous-mêmes, ici, être meilleur·es, plus pertinent·es, plus impertinent·es, on peut toujours s'améliorer. Mais aussi, l'inflation écorne le pouvoir d'achat de nombre de nos abonné·es. Nos médias indépendants sont chers, trop chers. Refusant la publicité, n'étant pas adossés à des actionnaires aux poches profondes, financés seulement par nos lecteurs et spectateurs, nous ne sommes pas à la portée de tous ceux que nous souhaiterions atteindre. A cet égard, la disparition en 2021 du portail d'abonnements commun La Presse libre, créé en 2016, nous a fait un tort considérable. Plus de 1 000 abonnés d'ASI et de son site partenaire Hors-Série
ont ainsi été perdus.
Au cœur de l'été, constatant notamment, avec affliction, les victoires successives qu'engrange Bolloré, et voyant comment sa presse donne le ton, par ruissellement, aux médias des autres milliardaires, nous avons décidé, plutôt que de nous lamenter une fois encore, de réagir. Réagir d'abord en regroupant nos forces avec d'autres sites indépendants, en recréant un portail d'achats commun de nos articles et de nos émissions, par abonnement ou à l'unité, mais doté cette fois de véritables moyens autonomes de gestion et d'animation. Un portail attractif et dynamique, allant bien au-delà, dans son périmètre et dans ses fonctionnalités, du simple portail rudimentaire qu'était, faute de moyens, La Presse libre. Outre qu'elle enverrait – enfin ! – un signal positif à tous nos publics, que peut décourager l'éparpillement de la presse indépendante, au même titre que l'éparpillement de la gauche politique, une mutualisation minimale permettrait de mettre en valeur nos complémentarités.
Constatant que son fondateur-retraité disposait désormais d'un peu de temps disponible, la denrée la plus rare dans nos petites rédactions, l'équipe d'ASI a décidé de me confier la responsabilité d'une mission exploratoire sur ce magnifique projet, mission que j'ai entamée avec enthousiasme. Poursuivant de riches débats avec nos futurs (j'espère) associés dans ce portail, dont la gestion sera bien entendu collective, je ne peux pour l'instant en dévoiler trop. Mais vous pourrez en suivre ici les progrès. Première priorité : trouver un nom pour ce futur outil. À vos imaginations !
PS : Ne reculant devant aucune transgression, et même pas le mot "marketing", l'équipe d'ASI a, parallèlement, lancé une campagne d'abonnements. Elle commence aujourd'hui. Vous devriez la rencontrer dans les semaines qui viennent. N'hésitez pas à propager autour de vous !