Coco, ses coconneries, et ses petits lapins

Daniel Schneidermann - - Humour - Le matinaute - 438 commentaires

Alors Coco, on va causer Charlie : t'as fait une coconnerie. Je veux parler de ce dessin de Libé d'hier, sur l'affaire Blanche-Neige.

C'est une coconnerie, d'abord parce que cette "affaire Blanche-Neige" n'en est pas une. Contrairement à ce que claironnent, derrière Fox News, sa déclinaison française CNews et toute la clique, non, la "cancel culture" ne "s'attaque" pas à Blanche-Neige. Personne n'a jamais demandé à "canceller Blanche-Neige". Tout est parti d'un article du San Francisco Chronicle sur une nouvelle attraction d'un parc Disney, article essentiellement laudatif avec néanmoins une remarque critique sur la représentation d'un baiser non-consenti. Hop, Fox a sauté sur l'occasion, et la polémique a traversé l'Atlantique, aussi vite qu'un changement de doctrine gouvernementale sur les brevets des vaccins.

Attaquée sur les réseaux sociaux sur la culture du viol dans laquelle s'inscrit ton dessin, tu as mis en ligne sans te dégonfler un autre dessin sur le même thème, non publié, le même jour, par Libé

D'abord, pour ceux qui l'ignoreraient, c'est une pratique courante qu'un dessinateur quotidien soumette à son journal plusieurs projets (voir notre enquête). Ça a toujours fonctionné ainsi au Monde, et c'est très bien. Liberté du dessinateur, liberté du journal de ne pas publier ce qu'il ne veut pas, ou qu'il estime moins réussi.  Sur le fond, ce second dessin dit la même chose que l'autre, ou plus précisément on peut l'interpréter de la même manière (pour parler Charlie : on s'en branle de ces histoires de consentement des femmes, arrêtez de nous emmerder). Mais, l'avouerai-je, j'aime bien les petits lapins, et Bambi, et le stylo, qui me permettent de penser que peut-être, ce n'est pas (seulement) des féministes woke que tu te moques, mais (aussi), t'insérant dans une longue lignée de dessinateurs, que tu attaques au marteau piqueur le sucre-glace disneyien. Je n'ai pas d'illusion. Je sais d'où tu viens, ce que tu as traversé, je suppose ce que tu penses. Mais au moins ce second dessin m'offre la possibilité d'une autre interprétation.

Alors même si je trouve ce second dessin plus drôle, plus graphique, plus réussi, c'est néanmoins, sur le fond, une coconnerie backlash. Mais soyons clairs : je serais très triste qu'il t'arrive à Libé ce qui est arrivé, au Monde, au pathétique Xavier Gorce, l'homme des pingouins. D'abord parce que je n'ai pas envie que tu finisses au Point ou à L'Express, et qu'on reste ainsi jusqu'à la fin des temps, chacun dans son couloir, à ricaner dans ses marques. Plus profondément, je souhaite ardemment que tu continues à m'énerver, et à énerver toutes celles et tous ceux qui pensent comme moi. Je souhaite pouvoir vérifier que mes convictions, sur le respect du consentement en matière de sexualité, et pour la liberté d'expression, sont assez fortes pour résister à un dessin concon, et même à cent dessins concons. Pauvres conconvictions que les miennes, si elles ne pouvaient résister à tes dessins concons ! Et d'ailleurs, te l'ai-je dit, tes petits lapins me font rire.


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