Ciel, une soufflante de BHL !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 194 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ca fait drôle, pour une fois, de se faire quasi-réveiller par une soufflante personnalisée de BHL en personne.
J'ai failli en laisser tomber ma cafetière de matinaute. Au micro de Pascale Clark, sur France Inter, BHL s'en prenait à "ces petits mecs", qui, sur France 3 hier soir, se répandaient en "blablas" et en "papotages" à propos de DSK. "S'ils savaient des choses, il fallait parler avant" fulminait BHL. "Mais de qui parlez-vous?" lui demandait Clark, qui s'était manifestement couchée tôt. Je peux répondre. Accusé matinaute levez-vous, il parlait de moi. Invité à la dernière minute hier soir par Taddeï, j'y suis allé. Sans aucune envie, pressentant d'avance la foire d'empoigne, l'impossible débat "je te piège, tu me pièges", mais bon, j'y suis allé, l'émission de Taddeï étant tout de même ce qui se fait de mieux à la télé (raison pour laquelle, sans doute, elle s'arrête à la fin de la saison).
Résultat ? Vous pouvez aller le voir ici. Comme d'habitude, j'ai dû commettre mon lot de gaffes et de maladresses, mais enfin, j'aurai peut-être fait passer le message suivant: bien entendu, la presse aurait dû dire, bien plus tôt, que le "comportement personnel" de DSK rendrait extrêmement problématique sa survie en milieu américain, et accessoirement la conduite d'une campagne présidentielle en France. Je me suis heurté sur le plateau à un mur nommé Nicolas Domenach, sous-directeur de Marianne, qui a passé l'émission à répéter qu'il ne fallait pas tout mélanger (tentative de viol, fréquentation de boîtes échangistes, comportements simplements lourdingues avec les dames). Evidemment, qu'il ne faut pas tout mélanger. Mais si à force de veiller à ne pas tout mélanger, on s'interdit totalement le sujet, comme Marianne, hebdomadaire prisonnier de la ligne de fer qu'il s'est fixée à lui-même, on se retrouve dans la situation d'aujourd'hui, à se prendre dans la figure ce fait-divers mondialisé, et à feindre de tomber de la lune.
Ne vous y trompez pas: je n'ai aucun goût particulier pour les histoires de fesses des politiques. La sexualité est un beau sujet de littérature, mais un sujet de journalisme assez ennuyeux, à mon goût. C'est d'ailleurs pour cette raison que finalement, je n'ai jamais rompu moi-même cette omerta de manière spécialement fracassante, ce qui sert aujourd'hui sur un plateau à BHL et sa confrérie l'argument du "fallait le dire avant", en concurrence avec le "c'est encore trop tôt pour dire", dans le petit arsenal des étouffeurs. Mais bon. Au moins, je crois nécessaire aujourd'hui de dire que ce sujet de la sexualité des chefs, quand il interfère avec la vie publique (et l'interférence est sous nos yeux depuis dimanche matin, mais elle était tellement prévisible), est un sujet légitime d'investigation, et d'analyse journalistique.
Evidemment, ce discours n'est pas facile à tenir, alors que la justice américaine et le système médiatique mondial nous matraquent depuis quarante-huit heures avec le terrible gros plan d'un ex-roi du monde, défait et hirsute, luttant pour sa liberté. Si vous voulez vous confronter à un objet médiatique sans précédent, regardez l'intégrale télévisée de la comparution de DSK, qui nous a tous cueillis à froid hier soir sur les chaines d'info continue, et scotchés devant les postes comme au siècle dernier, alors qu'on venait de suivre l'épisode sur Twitter, manière 2011, époustouflés par la modernité. Ecoutez son avocat supplier qu'on le laisse en liberté, moyennant une caution d'un million de dollars, la pose d'un bracelet, la confiscation de son passeport. Fallait-il diffuser ça ? Avons-nous droit à ce spectacle ? Non. Attention: je ne parle pas du système judiciaire américain, qui à ce stade, concernant l'affaire du Sofitel, me parait au moins plus rapide et plus égalitaire que le système français. Je parle de sa mise en images. Nous avons droit à l'information, ce qui n'est pas la même chose. Nous avons le droit d'entendre les arguments des uns et des autres, les controverses, mais nous n'avons pas droit au spectacle de cette lutte pour la survie, qui ne s'adresse pas en nous au citoyen, mais au lyncheur. Comment faire ? Les moyens existent, qui s'appellent webcam, caméra de surveillance, plan large fixe, ce que vous voudrez. Je ne dis pas que la sérénité du débat s'en trouvera restaurée. Mais elle n'y perdra pas. |