Chez Hanouna, "Bruno" contre "Tommi"
Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 115 commentaires
"Je voudrais qu'on donne la parole à Bruno, parce qu'on a entendu le témoignage de Tommi hier",
dit Cyril Hanouna. En effet. La veille, Tommi, masqué, voix déformée, a raconté comment, interpellé le 5 avril après un refus d'obtempérer au volant d'une voiture de location volée, il a subi, outre des insultes racistes et des coups, un viol par pénétration digitale au commissariat du 19e arrondissement de Paris. Une enquête IGPN et une enquête du parquet sont en cours. L'affaire a été révélée par StreetPress
et Le Média
. Hanouna avait prévenu : on donnerait "dans les jours qui viennent"
la version des policiers du 19e. On n'a attendu que 24 heures.
Pas de policier du 19e, donc, mais ce 5 mai, face à Tommi qui revient sur le plateau aux côtés de Taha Bouhafs, auteur de l'enquête, voici "Bruno". Bruno, c'est Bruno Attal, qui se présente comme un élu d'un syndicat de policiers ultra-minoritaire, France Police-Policiers en colère (nom parfaitement calibré pour les moteurs de recherche) qui revendique 9954 voix aux élections professionnelles, et "3 élus en comité technique"
. Il est déjà l'auteur d'une vidéo de tentative de "débunkage" de l'affaire Zecler, dans une vidéo YouTube qu'il cite cinq fois sur le plateau, et présente également sur le site de Michel Onfray, Front Populaire
.
Pourquoi la chaîne de Bolloré l'a choisi lui, plutôt qu'un syndicaliste plus représentatif, Hanouna ne le précise pas. "
Bruno
, demande Hanouna, qu'est-ce que vous avez à répondre de toute cette histoire ?"
Bruno, rigolard : "
Tommi c'est pas le verlan de Mytho ? Il a très bien choisi son pseudo"
. À Hanouna : "En général les gens que vous recevez sont de très bons comédiens."
Hanouna recentre : "
Racontez nous votre histoire, votre version".
Un match, histoire contre histoire ? Non. Bruno, de plus en plus rigolard : "
Vous êtes un délinquant, monsieur ?" "
On n'est pas là pour parler de mon casier"
. Hanouna, obstiné : "
J'aimerais qu'on ait votre version"
.
Faute de version, c'est sur son expérience de "flic de terrain" que Bruno fonde son incrédulité rigolarde. "Moi ma version, j'y étais pas. Moi j'ai travaillé sur les victimes de violences sexuelles, elles ont pas du tout ce comportement. Quand on a été violé, je peux vous dire qu'on se balade pas sur les plateaux télé. C'est une vraie souffrance"
. Taha Bouhafs, prenant les choses en main : "De deux choses l'une. Soit vous êtes venu ici avec des éléments..." "On n'est pas dans un tribunal..." "Moi j'ai fait une enquête avec
Le Média et
StreetPress. On a recueilli le témoignage de Tommi. On a obtenu des éléments. Ce que vous n'avez pas je crois. Des certificats médicaux. Je les ai ici
(il les montre). Peut-être qu'ils vont apparaître à l'écran..."
. Ils apparaissent. On lit "rapport destiné à l'autorité judiciaire"
. Bouhafs continue de lire : "Multiples ecchymoses... lésion anale. Il se l'est fait tout seul, la lésion anale ?"
Attal, changeant de stratégie : "Vous voulez des éléments... " "Oui, allez-y."
Suspense. "Vous savez quoi... j'ai pas le droit de vous les donner, il faut attendre la justice."
Bouhafs : "Donc vous avez aucun élément. Vous êtes autant qualifié que le PSG. Vous venez les mains dans les poches"
. Hanouna, découvrant que son invité n'a aucun élément : "Apparemment, il peut pas donner les éléments."
Bouhafs, poussant l'avantage : "Vous les avez vus ?" "Ouiouioui". "Alors de deux choses l'une. Soit vous êtes un menteur, vous ne les avez pas. Soit, et c'est encore plus grave, vous avez enfreint la loi, en complicité avec les policiers du 19e, vous avez eu accès à une enquête judiciaire en cours..."
Le policier, acculé : "Je vais vous les donner. Vous avez dit que vous aviez baissé votre caleçon. Pourtant vous dites après dans la déclaration que le policier vous arrachait votre caleçon. Mais vous l'aviez baissé, Monsieur. Et ensuite vous avez changé de version".
On a en tout cas tous les éléments en main pour comprendre que "Bruno"
n'a aucun élément sur l'enquête en cours. Alors pourquoi l'inviter ? Pourquoi inviter Tommi ? Pourquoi transformer en spectacle de catch un viol dans un commissariat, sur lequel deux enquêtes sont ouvertes ?