Charlie, le Mali, et l'absurde
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 111 commentaires
L'escarmouche a échappé à beaucoup. Le chef d'Etat major de l'Armée de terre, le général Thierry Burkhard, s'est déclaré indigné par un dessin de Charlie Hebdo
, publié au lendemain de l'accident d'hélicoptères qui a causé la mort de 13 militaires français au Mali. Dans un texte plus long, il a fait part de sa "peine immense". Et, "avec sincérité et humilité", a invité le directeur de Charlie, Riss, à venir leur rendre hommage à la cérémonie des Invalides, qui s'est tenue hier.
Profonde indignation et incompréhension à la vue de ce dessin de @Charlie_Hebdo_ . Mes pensées vont d’abord aux familles de tous les soldats morts au combat pour défendre nos libertés. pic.twitter.com/55L8hvV3ZF
— Chef d'état-major de l'armée de Terre (@CEMAT_FR) November 29, 2019
Pour m'être interrogé sur la cohérence de ce dessin de Charlie
, je me suis attiré sur mon réseau social addictif préféré une belle raclée. M'enfin, ils ont toujours été antimilitaristes, chez Charlie ! Voir Cabu ! Certes. Mais Cabu s'en prenait essentiellement aux soudards vivants. Pas aux militaires morts.
— Larchmutz (@_Larchmutz) November 30, 2019
On me dira que le dessin d'aujourd'hui ne s'en prend pas aux militaires morts eux mêmes, mais à la campagne de recrutement de l'Armée, sur le thème "en vrai, la guerre tue". Si tel est le message, merci pour l'info ! Je me suis aussi attiré une réponse de l'activiste charliste Caroline Fourest, que je laisse chacun apprécier.
L’humour noir vaut pour tous, même ceux qui ne le comprennent pas. Grincer de la mort qui guette notre armée, ce n’est pas se moquer des morts, mais rappeler le danger. Le prendre au premier degré, c’est tuer la liberté pour laquelle ils sont morts. #CharlieHebdopic.twitter.com/esuaRjNIr5
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) November 30, 2019
J'attendais avec curiosité la réponse de Riss au général Burkhard. Elle est arrivée. Tout en se déclarant "conscient de l'importance du travail effectué par les soldats français contre le terrorisme"
, Riss estime que son journal "se doit de rester fidèle à son esprit satirique, parfois provocateur"
. En substance : on soutient l'Armée. Mais vous comprenez, on a une tradition antimilitariste, c'est comme ça, c'est dans nos gènes. Donc, laissez-nous expérimenter tant bien que mal une sorte d'antimilitarisme militariste. C'est acrobatique, mais comment ne pas être acrobatique ?
La lettre de Riss, directeur de @Charlie_Hebdo_, au chef d’État major de l'armée de terre. S'il fallait encore préciser que leur ennemi est le même... #HommageNationalpic.twitter.com/rc6OT1AREM
— Rachel Binhas (@RachelBinhas) December 2, 2019
Fondamentalement, Charlie Hebdo
est en guerre contre l'islam, ou l'islamisme, ou les musulmans en général, ils ne savent pas eux-mêmes très bien, ça dépend des numéros. Ils ont, pour cela, payé le prix du sang. Et voici le léger problème : c'est justement pour (entre autres) combattre Daech, que l'Armée française mène au Mali l'opération dite "Barkhane". Pas seulement, je sais. Il y a aussi, en arrière-plan, des questions d'approvisionnement en uranium. Mais notamment. De fait, les soldats français morts au Mali, sont donc morts notamment pour que Charlie
conserve le droit de se moquer de l'Armée. Cela crée une situation...comment dire ? Paradoxale, douloureuse, cruelle, absurde, qui n'est pas évidente à résumer en un seul dessin, et même en plusieurs. Et pourtant, n'est-ce pas cette absurdité-là, qu'il faudrait parvenir à dessiner en priorité ?
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