Bridgestone : encore la faute aux Amish !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 73 commentaires
Coup de massue pour les 863 salariés concernés, gesticulations désordonnées des politiques, sommations tonitruantes : l'annonce de la fermeture de l'usine de pneus du Japonais Bridgestone de Béthune (Pas-de-Calais) reproduit un schéma trop connu ces dernières décennies. Logiquement, il faut un coupable, et tout aussi logiquement François Lenglet, le Monsieur Economie de TF1, l'a trouvé : les restrictions à l'achat des grosses voitures polluantes, les pistes cyclables "en surnombre"
, les fermetures de voies, les embouteillages. Avant de concéder que cette politique environnementale "a bien sûr ses raisons"
. Tiens, lesquelles donc ?
Au JT de 20h de TF1
— Emmanuel (@EmmanuelSPV) September 20, 2020
Les «pistes cyclables en surnombre» invoquées dans le commentaire sur la fermeture de Bridgestone.
Et en conclusion:
«Moins de voitures, c’est moins d’usines et moins d’emploi. Un chômeur qui roule à vélo, c’est d’abord un chômeur»
Repéré par @homecinema94pic.twitter.com/N4kqnrr48s
Donc la faute aux Amish à vélo. Certainement pas la faute à l'ouverture des frontières européennes aux pneus asiatiques bas de gamme. Certainement pas la faute à la mondialisation dont Lenglet vante les mérites depuis qu'on l'entend causer dans le poste. Certainement pas la faute à la mauvaise gestion de l'usine de Béthune. Les Amish, vous dis-je. Génocidaires du sapin de Noël à Bordeaux, éradicateurs du Tour de France à Rennes et Lyon, assassins du pneu : quel gang !
Et assassins aussi de l'innocente publicité, si j'en crois la campagne qui se profile contre le projet Pompili, révélé par le JDD d'hier, d'encadrer ou d'interdire la publicité pour des produits polluants ou néfastes à la santé. Belle campagne de lobbying en vue, dans ce qui n'est qu'une nouvelle manche de la guerre jamais gagnée contre la pub pour les produits gras. Là, ce n'est pas Lenglet qui monte au créneau à la rescousse des groupes audiovisuels privés de pub, maisle journaliste Tech de BFM (et gendre du grand patron) Raphaël Grably.
Pour en terminer avec les lourdes responsabilités des Amish, j'ai vu passer au cours du week-end ce titre des Échos
: "Faute de production d'électricité nucléaire et éolienne suffisante, la France fait déjà fonctionner ses centrales à charbon" -
très en avance, donc, sur les pics de froid du cœur de l'hiver. Et aussitôt, sur mon réseau social préféré, les défenseurs du nucléaire de s'exclamer : "A
h, si on n'avait pas fermé Fessenheim, on n'en serait pas là !"
Sauf que Les Échos
expliquent l'insuffisance de production électrique par bien d'autres facteurs : notamment la sécheresse, et le confinement. Lisez donc.
Au delà de la provoc, François Lenglet énonce pourtant une évidence. Si on lutte contre le tout-voiture, on vendra moins de voitures, et donc moins de pneus. Si on lutte contre l'empreinte carbone de l'aérien (6% des émissions mondiales d'équivalent CO2), on vendra moins d'avions, et on en fabriquera donc moins. Et créera-t-on donc "des chômeurs à vélo"
? Certainement, tant que l'on n'aura pas pris à bras le corps la question de la transition, ce qui est une tout autre affaire que de blaguer sur les Amish.