La presse bretonne fâchée contre les écolos anti-Tour
Tony Le Pennec - - 47 commentairesLa Bretagne exulte : le Tour de France 2021 partira de Brest. Mais la presse régionale bretonne s'indigne que les élus écologistes de Rennes, ainsi que la maire PS, aient refusé cet honneur. Dans les colonnes d'Ouest-France et du Télégramme, c'est un refus qui ne passe pas.
Les écologistes contre le vélo ? La ville de Rennes devait accueillir le départ du Tour de France en 2021. Mais la mairie de la capitale bretonne ayant décliné la proposition, c'est finalement de Brest que s'élanceront les coureurs. À Rennes, plusieurs conseillers municipaux écologistes, qui siègent dans la majorité, ont fait savoir leur hostilité au Tour, jugé anti-écologique, sexiste, et coûteux pour la collectivité. La maire Nathalie Appéré (PS) a finalement invoqué des "raisons de calendrier" pour motiver son refus. Dans la presse régionale bretonne, la parole est largement donnée aux partisans d'un grand départ rennais, qui critiquent vertement ou à fleurets mouchetés la décision de Rennes. Les arguments des opposants, eux, sont quasiment absents.
Départ breton : la presse en joie
Cocorico! Mardi 11 août, le Télégramme et Ouest-France, les deux principaux journaux régionaux bretons, annoncent la nouvelle tout juste officialisée : le Tour de France s'élancera en 2021 de Brest, et quatre étapes se dérouleront exclusivement en Bretagne.
Dans ces articles, la satisfaction de Loïg Chesnais-Girard, président PS du Conseil régional de Bretagne, et de Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, est largement relayée. Tous deux vantent une "grande fête"
, la passion de la Bretagne pour le vélo, les retombées économiques pour la région. Dans Ouest-France, des représentants des conseils départementaux des Côtes-d'Armor, du Finistère, d'Ille-et-Vilaine disent aussi leur joie d'accueillir un morceau de Tour de France. Tout comme le maire de Brest. Un article d'Ouest-France,
le 11 août, est aussi consacré au coup de sang de Bernard Hinault, multiple vainqueur du Tour et breton : il est remonté contre les écologistes rennais, et particulièrement contre la conseillère municipale Valérie Faucheux. Celle-ci a estimé auprès de France Bleu Armorique que le Tour de France "est un format sportif daté". "Elle parle d’événements du passé, c'est peut-être elle qui est du passé. Elle est écologiste non ? Il faudrait qu'elle regarde ce qu'elle met à ses pieds. Elle pollue peut-être plus la Terre que n'importe quel cycliste", cingle Hinault. La même édition du 11 août de Ouest-France, sous le titre "Directeur du Tour :
« Plusieurs maires écolos m'ont écrit »
"
, donne encore la parole au directeur Prudhomme, qui défend les nouvelles mesures écologiques (des voitures hybrides dans la caravane) et anti-sexistes (ce sont désormais une hôtesse ET un hôte qui remettront les prix aux vainqueurs d'étape).
Une décision "dogmatique ridicule"
Toujours dans l'Ouest-France
du 11 août, un article entier est consacré à la réaction très critique des élus LREM rennais vis-à-vis de la position des écologistes. Des élus écologistes eux-mêmes, en revanche, nulle trace dans le journal. À peine la position des opposants est-elle rappelée en une phrase, expliquant que c'est pour "son empreinte carbone", "sa gestion catastrophique des déchets" et "son image sexiste de la femme" que les élus EELV rennais ont décliné l'honneur d'un grand départ.
En ouvrant le concurrent direct d'Ouest-France, Le Télégramme, même constat. Les arguments des écologistes sont rapidement rappelés, sans qu'ils soient, ni eux ni la maire de Rennes, interrogés : seuls quelques mots de leurs tweets et l'intervention de Valérie Faucheux à France Bleu sont mentionnés. La parole est en revanche largement donnée aux pro-Tour. Ainsi, le conseiller régional Pierre Breteau estime que les écologistes sont dans une position "dogmatique ridicule". "Ridicule", c'est aussi par ce mot qu'Hubert Coudurier lui-même, directeur de l'information du Télégramme
, décrit la décision de la maire de Rennes dans son éditorial. Le texte est consacré aux élections régionales, mais débute par cette pique : "Le refus ridicule de la maire de Rennes à l’égard du Tour de France aura peut-être pour effet d’atténuer la condescendance que la capitale bretonne manifeste généralement envers l’institution régionale que préside Loïg Chesnais-Girard".
Le terme "dogmatisme", on le retrouve dans un autre article du Télégramme, publié le 11 août sur Internet, comme le notait sur Twitter le journaliste Sylvain Ernault. Il se propose de résumer la polémique, et est intitulé "Cinq questions sur la pression écolo qui pèse sur le Tour de France" . Pourtant, l'organisation du Tour n'a jamais été mise en danger par le refus de Rennes d'accueillir le grand départ. Sous la question "Comment le Tour s'adapte-t-il ?" l'auteur explique : "Comme tout projet d'envergure, public ou privé, le Tour de France doit prendre en compte une contrainte écologique qui s'impose désormais à tous, mais également parfois s’accommoder de certains dogmatismes se greffant au mouvement général." La phrase résume bien ce qui ressort de la presse bretonne unanime : le Tour a fait des efforts sur l'écologie, et en demander plus, c'est en demander trop, et frôler le sacrilège. Dans l'édition papier du 12 août, le passage "mais également parfois s’accommoder de certains dogmatismes se greffant au mouvement général" a disparu. Et l'article a été retitré... "Le Tour à l'épreuve de son temps".
Colonnes ouvertes aux pro-Tour
Le Télégramme donne aussi la parole à Stéphane Heulot, autre champion cycliste retraité, originaire d'Ille-et-Vilaine, qui dit avoir "honte de [s]on département". Karim Khan, président de l’Union des métiers et des industries hôtelières Bretagne, se plaint lui aussi dans le Télégramme
que les commerçants de Rennes n'aient pas été consultés avant la décision.
Comment expliquer la différence de traitement entre les anti et les pro-départ à Rennes ? Philippe Boissonnat, rédacteur en chef adjoint de Ouest-France, dit à ASI n'avoir pas le temps de répondre à nos questions. Hubert Coudurier, le directeur de l'info du Télégramme
, explique que ni la maire de Rennes ni les écologistes "n'ont fait de communiqué, ni de conférence de presse" pour donner leur point de vue. "C'est vrai que nous ne nous sommes pas précipités pour avoir une interview de Nathalie Appéré, mais si elle veut s'exprimer, elle est la bienvenue", assure Coudurier. Le Télégramme
assure d'ailleurs que les membres de la majorité rennaise étaient tous ces derniers jours "sur messagerie". Mais dans le ton des articles du Télégramme et de Ouest-France,comme dans le choix des personnes interrogées sur la décision de la mairie de Rennes, le message est limpide : un Tour de France, ça ne se refuse pas, comme titrait d'ailleurs Ouest-France le 10 août.
Mise à jour 14 août 2020 : Après publication de notre article, Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme, nous a contacté pour préciser que son journal avait tenté, dès lundi 10 août, de contacter la maire de Rennes ainsi que des élus écologistes de Rennes et d'Illes-et-Vilaine. La maire n'a pas donné suite à leurs appels, assure-t-il, et les autres élus "étaient tous sur messagerie, sauf quelques-uns qui ont accepté de parler en off". Ces paroles off sont brièvement citées dans cet article. Certains assurent que la décision de refuser le grand départ faisait consensus dans la majorité. D'autres que tout le monde ne partageaient pas les arguments de l'écologiste Valérie Faucheux. "Oui les pro Tour de France ont eu une surreprésentation car les "anti" n'ont pas répondu aux sollicitations des rédactions", conclut Samuel Petit.