Boucle d'or et les oligarques
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 45 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et soudain, toutes les caméras du monde zoomèrent sur une prisonnière aux tresses d'or.
BFM, et toute l'information mondiale, étaient suspendues à Youlia Timochenko. Ayant terrassé quasi-seule les oligarques, Boucle d'or allait sortir de sa prison-hôpital. Elle sortait. Elle s'était envolée vers Kiev. Elle allait arriver sur le Maïdan. Elle arrive, elle est arrivée, restez avec nous, c'est un moment historique, nous allons écouter ses premiers mots. Comme si ces tresses rassemblées hypnotisaient les caméras. On en oubliait même de revenir sur l'incroyable film de la journée, et cette image qui l'avait dominée, celle du Neverland de l'ogre Yanoukovitch, avec ses daims, son galion, et ses robinets d'or.
Péniblement, les envoyés spéciaux sur place ramaient à contre-courant, multipliant les témoignages d'Ukrainiens sceptiques sur le retour de l'ancien premier ministre. Elle n'est pas mieux que les oligarques, comme eux elle fera main basse sur les lingots, on ne veut pas se faire confisquer notre révolution. Jamais la divergence entre l'histoire qui s'écrit de loin, celle que désire "Le Système", avec ses apothéoses, ses héros et ses héroïnes, et le terrain incertain, cahotique, illisible, indéchiffrable, n'avait été plus perceptible. Sur ITélé, notre boussole à marquer le Sud préférée, BHL, encore lui, racontait ses contacts avec la fille de l'ancien Premier ministre, accroissant encore la perplexité générale.
La révolution ukrainienne est une leçon pour tous les observateurs extérieurs occidentaux, journalistes comme décideurs politiques. La vérité, la seule que l'on peut énoncer d'ici, de cette vigie matinale non russophone, non spécialisée, et dont aucune membre de l'équipe n'a jamais mis les pieds en Ukraine, est que cette insurrection victorieuse nous est largement hermétique. Nous n'en avons commenté que des reflets de reflets. Quid de la réalité des accusations de corruption contre Timochenko, dans cette société politique qui semble débattre à coups de réquisitoires judiciaires et d'embastillements ? La présence de l'extrême-droite parmi les révolutionnaires de Maïdan a-t-elle été sous-estimée, comme nous l'avons pensé au début ? En pointant cette sous-estimation, avons-nous contribué à la surestimer ? Que signifie exactement, pour un un Ukrainien de Kiev, être "nationaliste" ? Et pour un Ukrainien de Crimée ? Et s'agissant justement de l'Est du pays, c'est pire : s'apprête-t-il à faire sécession, ou pas ? Et Poutine ? Peste-t-il dans son coin, ou bien s'apprête-t-il à traiter avec Timochenko et les siens ? Il est parfois plus sage de s'en tenir aux questions, et de ne pas tout de suite chercher à y répondre.