Benoîte Groult, Mitterrand, les foyers, les familles et la pilule
Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 38 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est une courte video, guère virale, et sans doute pas amenée à le devenir, qui a resurgi à l'occasion de la mort de Benoîte Groult.
Candidat à l'élection présidentielle, François Mitterrand répond à une question de l'écrivaine (épouse de son ami Paul Guimard, et brièvement sa maitresse), sur ce que l'on n'appelle pas encore la condition féminine, et encore moins le combat féministe. On parle de "planning familial, ou de contrôle des naissances". On est en 1965. Dans quelques jours, De Gaulle sera réélu, après avoir été mis en ballottage, justement, par Mitterrand, à la stupéfaction furieuse de tous les gaullistes.
Que propose le candidat ? D'abroger la loi de 1920, qui (même si Mitterrand ne le précise pas) a criminalisé l'avortement, et interdit toute publicité pour la contraception. C'est sans doute clair pour beaucoup de celles (et peut-être ceux) qui l'écoutent. Mais peut-être pas pour tous. D'autant que les mots qui fâchent ne sont jamais prononcés par le candidat. Ni pilule, bien entendu. Ni avortement, ça va sans dire, ni même contraception.
En revanche, honneur aux mots "foyer", et "famille"."Le problème du contrôle des naissances est posé à la nation. Il ne faut pas criminalser les femmes qui décident elles-même de ce que doit être l'épanouissement de leur famille (...) Celles qui m'entendent ont parfaitement compris que ce que je dis, c'est à l'honneur de la famille". Ce que propose le candidat ? Donner aux femmes les conditions "pour l'épanouissement d'un foyer pour une vie heureuse. Il faut que les femmes soient maitresses de l'évolution de leur foyer". Bref, qu'on ne se méprenne pas : "je n'ai pas dit qu'il faut donner aux femmes le droit de ne pas avoir des enfants. Je dis qu'il faut Il faut leur donner le droit d'en avoir". Comme on ne disait pas encore à l'époque, il la fait à l'envers.
Un demi-siècle plus tard, deux lectures sont possibles. On peut s'étonner que trois ans seulement avant 68, ces mots aient encore été tabous, et trouver Mitterrand sacrément frileux. On peut au contraire saluer le courage du candidat, voire son habileté à combattre l'adversaire en retournant contre lui ses propres mots. Deux ans plus tard, c'est un député gaulliste, Lucien Neuwirth, qui sera à l'origine d'une loi autorisant la vente des produits contraceptifs. Il faudra encore cinq ans pour que soient signés les décrets d'application.
A propos de Benoîte Groult, il est remarquable de constater que beaucoup de ses livres n'ont pas pris une ride. On peut aussi découvrir le personnage à travers un réjouissant roman graphique de Catel, Ainsi soit Benoite Groult.