#Balancetonporc : un œuf parle

Daniel Schneidermann - - Investigations - Scandales à retardement - Le matinaute - 124 commentaires

Un œuf parle. Un de ces fameux œufs, destinés à la fatalité du cassage dans la confection des omelettes des révolutions. "L'œuf, c'est moi", dit Eric Brion, au micro de Léa Salamé. Ancien patron de la chaîne Equidia, Brion est le porc inaugural de la vague #balancetonporc. C'est lui, qui a été nommément dénoncé par la journaliste Sandra Muller, autrice en 2017 de deux tweets successifs, à quatre heures d'intervalle. Le premier : "#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Et quatre heures plus tard, donc : "'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit' Eric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc".

Un œuf parle. L'œuf a des mots, une voix, des souvenirs précis. L'œuf a même gagné le procès en diffamation intenté à Muller, en 2019. Car contrairement à ce que laissait entendre l'enchaînement des deux tweets (sans toutefois le dire explicitement), Brion n'était pas alors le supérieur hiérarchique de Muller, et ne l'avait jamais été (même s'ils se connaissaient professionnellement, Brion étant alors une source, et un client potentiel, de Muller, directrice d'une lettre professionnelle sur l'audiovisuel). Et cette invite lourdingue, proférée en 2012, soit cinq ans avant les tweets, ne pouvait être qualifiée de "harcèlement", étant la première et la dernière qu'il lui eût jamais adressée, dans un cocktail, à la fin d'une soirée cannoise très arrosée.

Dans la révolution #MeToo, la voix de l'œuf a été, trois ans durant, étouffée, avant qu'il ne publie aujourd'hui sa version de l'affaire dans un livre, "Balance ton père", qui lui vaut invitation chez Léa Salamé. Les journalistes et les réseaux sociaux n'avaient d'ouïe que pour le joyeux crépitement de l'omelette sur le feu. Car l'omelette était attendue, désirée, et savoureuse. La peur et la honte changeant de camp en quelques mois, après des millénaires d'exploitation, d'agressions, de harcèlements, de viols, de féminicides, bref de domination masculine, oui, c'est une omelette historique, qui méritait d'être dégustée comme telle.

Il ne s'agit pas, ici, de prétendre que nous avons été meilleurs que les autres, ayant aussi écrit faussement, ici, que Brion était l'ancien patron de Muller (sans toutefois donner son nom) avant de rectifier deux mois et demi plus tard, , quand Brion répliqua dans une tribune du Monde. Il ne faut pas regretter l'omelette. Mais il faut toujours tendre l'oreille au craquement des coquilles d'œufs.

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